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        - Tu vois, d'ici, on a un excellent poste d'observation. Difficile de s'approcher du Village sans être repéré. En tout cas, un groupe important, conclut Blois avec un geste du bras.

         Ils se trouvaient sur une petite placette, à l'extrémité ouest du village, sorte de décroché parmi les maisons dont les murs extérieurs surplombaient la plaine et la rivière qu'ils voyaient miroiter par intermittence.

              - C'est pour ça que les premiers d'entre nous ont choisi cette petite ville fortifiée. Difficile à prendre. Non, le problème, c'est les champs et les vergers autour.

    Blois s'adressait à Camille qui semblait perdue dans l'évaluation du site. Il ne pouvait voir d'elle que son profil. Elle était vêtue d'un épais manteau de laine noir qui lui descendait jusqu'aux chevilles. Ses cheveux blonds qu'elle laissait pousser tombaient sur ses épaules et, de temps en temps, elle les secouait d'un mouvement inconscient de la tête. Elle paraissait tranquille, acceptant en apparence ce qui était pour elle une captivité probablement insupportable. Peut-être était-elle à ce moment précis en train d'évaluer ses chances d'évasion et peut-être s'ingéniait-elle à repérer le chemin qui lui permettrait de s'enfuir. Blois haussa les épaules. La jeune fille, ayant deviné son geste, tourna les yeux vers lui, l'observa calmement de son regard lumineux puis retourna à sa contemplation.

    - Camille comprend, murmura-t-elle.

    C'était à peu près les seuls mots qu'il lui entendait jamais dire. Impossible de savoir s'il faisait des progrès dans ses tentatives de lui faire accepter ce qu'on attendait d'elle. En surface, elle ne semblait plus hostile. Elle suivait sans se plaindre ses geôliers et ne discutait jamais leurs ordres et leurs recommandations. C'était précisément cela qui souciait Blois, cette passivité, presque cette nonchalance, qui cadraient si peu avec ce qu'il avait appris d'elle dans les premiers temps. Comment et surtout à partir de quand lui faire confiance ? Lermontov ne faisait aucun commentaire mais Blois pouvait comprendre que cela ne durerait pas. Tôt ou tard, il faudrait aviser.

    - Allez, Camille, on retourne.

    Elle se tourna docilement vers lui et lui emboîta le pas. Scorpion, le soldat qui était assigné à la garde de Camille, toujours à quelques mètres derrière elle, les suivit en sifflotant. Ils parcoururent en silence la petite rue en pente qui conduisait à la chambre où elle était maintenue enfermée en dehors de ses heures de promenade. Ils croisèrent en chemin Jeandot et Perce-Neige, deux des soldats de Launois. Brefs saluts de tête, pas de commentaire. Blois ne chercha pas à savoir mais il était persuadé que les deux hommes s'étaient retournés sur eux et les regardaient s'éloigner. Ça aussi, c'était un problème. La fille était naïve et ne se rendait absolument pas compte de l'effet qu'elle produisait sur certains villageois. Naïve à moins que ... Non, naïve, croyait Blois, inconsciente de son apparence. C'était à lui d'empêcher un incident. Il avait assez prévenu tout le monde : la fille, pour l'instant, était une tueuse, sous haute surveillance. Sa formation n'était pas achevée. Gare à celui qui l'approcherait sans raison. Camille s'avança dans le hall du pavillon et s'arrêta devant la lourde porte de chêne. Scorpion sortit la clé tandis que la jeune fille se tournait vers Blois, affichant ce demi-sourire habituel qu'il n'arrivait pas à interpréter, puis elle disparut dans l'obscurité de la pièce.

    - Tu as encore suffisamment de bougies ? jeta Blois.

           Il attendit deux à trois secondes mais comme elle ne répondait pas, il fit un signe de tête au soldat. Claquement de porte. Cliquetis de serrure.

    Si Blois, au tout début, avait trouvé amusant, en tous cas stimulant, de former sa prisonnière, ce n'était certainement plus le cas. La fille le mettait mal à l'aise. Il ne la comprenait pas. Il n'arrivait pas à savoir ce qu'elle pensait, comment elle risquait de réagir. Blois détestait ça. Il avait horreur de l'imprévisible, de l'inconnu, de l'hypothétique. Bien fait pour ma gueule ! pensa-t-il. Ça m'apprendra à vouloir faire compliqué. Il se retourna vers Scorpion qui attendait sans impatience.

    - Demain, au lever du jour, cracha-t-il avant de tourner les talons.

     

     

    Blois fut heureux de se retrouver en opération avec ses hommes. Depuis qu'il était en charge de la fille sauvage, il n'était pas sorti du village. En tout cas, rien qui valait la peine d'être noté. Il ne s'en plaignait pas puisque c'était prévu. D'une certaine manière, en la ramenant au lieu de l'éliminer, c'était lui qui s'était mis en avant. Mais il y avait eu le meurtre de Cavier, un pauvre vieux qui ne demandait rien à personne. Assassiné atrocement à coups de couteau ou plus vraisemblablement de serpette pour quelques poules et un canard. C'était absurde. Le vieux était à moitié infirme et n'aurait pas cherché à s'opposer au vol : pourquoi l'avoir tué sinon par pur plaisir, par sadisme ? Cavier n'était pas quelqu'un du Village mais plutôt un vieil original qui, vivant dans sa périphérie et  moyennant quelques services mineurs, bénéficiait de sa protection relative. Jusqu'à ce jour. Lermontov en avait été vert de rage et, après une réunion houleuse au cours de laquelle il avait quasiment accusé les uns et les autres de laisser-aller, il avait donné l'ordre que ce crime ne reste pas impuni. D'où l'expédition. Et le nouvel enfermement, pour deux jours au moins, de Camille. Ce qui, pensa, Blois serait peut-être une bonne chose et l'amènerait à se livrer un peu plus. Enfin, on a le droit d'espérer, essaya-t-il de se convaincre. Lydia, qui était à ses côtés, se pencha doucement vers lui. Il pouvait sentir son odeur et, comme toujours, il en fut troublé mais son visage, aussi bien contrôlé que celui d'une statue de pierre, ne risquait pas de le trahir. D'une voix presque indistincte, elle chuchota :

    - Ils sont trois, peut-être quatre. Launois doit être arrivé de l'autre côté.

    Blois acquiesça en silence puis, prenant la jeune femme par le bras, il avança doucement avec elle à travers les feuillages, en direction du foyer minuscule qui ne devenait visible que lorsqu'on était pratiquement dessus. Mais, l'habitude et l'expérience aidant, les soldats du Village avaient d'autres moyens de repérage. Ils avaient été presque immédiatement sur la piste des rôdeurs qui ne devaient guère se douter de l'Organisation qui s'était lancée à leur poursuite. Blois avait senti l'odeur du feu longtemps à l'avance, de même que Lydia vraisemblablement, et tous deux n'avaient plus eu qu'à avancer lentement, dans le silence de la nuit tombante. Les rôdeurs s'étaient crus avisés en choisissant de dresser leur campement dans la cour envahie de ronces d'une ancienne ferme depuis longtemps détruite. Fatale erreur, pensait Blois car, s'ils étaient relativement peu visibles de loin, une fois repérés, il leur était difficile de s'enfuir.  Blois et Lydia attendirent tranquillement que les autres se soient mis en place. Launois et Lermontov seraient sans doute bientôt prêts. De fait, ils entendirent le sifflet lointain d'un des soldats de Launois prévenant de l'imminence de l'assaut. Blois siffla à son tour doucement. Les rôdeurs avaient entendu cette étrange musique et, tous mouvements soudain suspendus, ils tendaient l'oreille, intrigués. Ils n'eurent pas le temps de se rendre compte. Venus de la nuit, des silhouettes inidentifiables leur sautèrent dessus et leur tranchèrent la gorge en quelques secondes. Une pure opération de routine, pensa Blois ; ces barbares ne sont décidément pas à la hauteur de leurs saloperies. Et c'est tant mieux mais que tout cela ne nous donne pas un sentiment de trop grande facilité. Un jour, on tombera peut-être sur plus forte partie. Il faudra que j'en dise deux mots à la prochaine réunion de groupe.

    Lydia était revenue. De son groupe, c'était elle et Caspienne qui avaient été désignés pour l'élimination.

    - Lermontov dit qu'il vaut mieux rester ici pour la nuit, rapporta la jeune femme.

    Blois approuva sans un mot. Plus tard, alors qu'il accomplissait son tour de veille, il prit une décision. Il en avait assez de l'incertitude dans laquelle les tenait la fille sauvage. Dorénavant, il lui faudrait choisir. Ou elle s'intégrait immédiatement, ou elle disparaissait. Ils n'avaient pas de temps à perdre, l'opération de ce soir démontrait s'il en était besoin que l'énergie des Villageois devait avant tout se concentrer sur le monde extérieur. Il espérait que la fille comprendrait, qu'elle avait déjà compris. Sinon tant pis. On avait besoin d'elle mais il n'était plus question de perdre encore du temps. Il toucha du coude Lydia qui était allongée contre lui et dont il savait qu'elle ne dormait pas. Il lui expliqua ce qu'il attendait d'elle : il était sur le point de lâcher Camille dans le Village et il souhaitait que, jusqu'à nouvel ordre, Lydia couvre Scorpion, le garde normal de la fille. Sans que ni lui, ni la fille, ne s'en rendent compte. Il savait qu'elle en était parfaitement capable. Si elle devait s'apercevoir que la fille sauvage était sur le point de s'enfuir ou, pire encore, qu'elle présentait d'une façon ou d'une autre une menace quelconque pour la communauté, qu'elle l'élimine. Si lui, Blois, n'était pas présent, il lui donnait carte blanche. Lydia hocha la tête en le regardant avec attention. Dans la nuit, faiblement éclairés par les braises qui rougissaient encore, ses yeux, habituellement d'un bleu très pur, apparaissaient à Blois d'un noir d'encre. Cela lui donnait un air étrange, insolite. Il se rendit compte qu'elle aussi il n'arrivait pas toujours à savoir ce qu'elle pensait.

     

     

     Lermontov - Mikaël Warens-Simonin de son vrai nom depuis longtemps oublié, même de lui - s'extirpa avec précaution du fauteuil dans lequel il était enfoncé depuis deux bonnes heures. Malgré tout, et comme il s'y attendait, la douleur se manifesta dans son dos pour descendre dans la fesse droite. Il émit un faible grognement et s'arrêta à mi-mouvement, le temps que le mal s'atténue. Il avait connu pire. Plusieurs fois, la douleur était descendue jusqu'à son pied, inexorable et taraudante, l'obligeant en pareil cas à rechercher une position antalgique quasiment introuvable. Les décoctions infectes de la vieille Craquette qui faisait office de guérisseur dans le Village ne l'avaient jamais aidé et il y avait renoncé depuis des mois au grand dam de l'intéressée. Il se contentait de subir en silence. Lermontov reprit son mouvement, presque soulagé, et vint se camper devant la grande cheminée où crépitaient les bûches. Il tendit les mains vers elles puis se tourna à demi pour exposer son dos encore douloureux. Il avait l'impression que cela lui faisait du bien. Enfin, en soupirant et en se secouant comme pour revenir à un présent maussade, il s'approcha de la table de chêne massif sur laquelle s'étalait la carte. C'était une vieille carte qui datait évidemment d'Avant et qui, par voie de conséquence, était devenue plus qu'approximative. Mais c'était le seul élément un peu tangible dont il disposait sur la Ville et il se devait de faire avec. La Ville. Peut-être le dernier témoignage de ce qu'il appelait les années-lumière. Jadis aussi peuplée qu'une termitière. Il y avait vécu, longtemps auparavant, quand il n'était encore qu'un tout petit enfant. Il n'en gardait pas de souvenirs véritables, seulement une impression de mouvements, de couleurs et, ce qui paraissait aujourd'hui incroyable, de sécurité. Il y avait si longtemps de ça. Mais ce qui était peut-être dans le temps - il n'en était plus sûr - un endroit paisible représentait à présent une nuisance insupportable. Une fois de plus, il détailla le plan, murmurant à voie basse les indications qu'il y déchiffrait péniblement. La Ville, c'était, Lermontov en était persuadé, la grande affaire du moment. Tant qu'elle ne serait pas nettoyée, le Village ne serait pas tranquille. Elle était située à trois heures de marche, c'est-à-dire à une quinzaine de kilomètres environ du Village suivant les anciennes mesures que Lermontov était encore un des rares à parfois utiliser. Elle n'était pas si étendue si on la comparait à d'autres villes situées un peu plus loin et qui, à ce qu'on disait, s'étendaient sur des kilomètres et des kilomètres. Ce n'était qu'un champ de ruines dont certaines, de manière surprenante, semblaient encore intactes ou presque. Un refuge pratiquement inexpugnable pour toute cette racaille qui, de temps à autre, venait piller les maigres possessions du Village laissées par force sans surveillance. Un réel problème qu'il faudrait bien, un jour ou l'autre, prendre en considération. Ce jour approchait, avait-il décidé. Il n'était plus tolérable de laisser les pauvres gens, comme le vieux Cavier, se laisser massacrer sans réagir. Trois meurtres en deux mois déjà. Mais comment procéder ? Impossible de ratisser ces rues délabrées et ces maisons aux trois-quarts détruites - et donc autant d'abris invisibles - dans une gigantesque partie de cache-cache mortelle. Pas question d'y mettre le feu ce qui était probablement impossible et ne résoudrait rien. Des représailles donc. Une opération punitive qui servirait d'exemple et de dissuasion. Rapide pour ne pas laisser le Village trop longtemps exposé mais brutale et meurtrière. La plus meurtrière possible et ce sans hésitation : il ne pouvait rien y avoir de bon là-bas. Le maximum de commandos disponibles. Au moins trente soldats. Lermontov y pensait depuis longtemps. Une action à préparer avec soin. Lermontov se redressa en grognant et se dirigea vers la porte. Il devait réunir ses lieutenants car il y avait tellement à discuter, à prévoir, à organiser. A présent que la décision avait mûri, que l'action s'imposait enfin, il était impatient d'en découdre.

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         Vincent Blois n'était pas un homme de son temps et il le savait. Cela pouvait paraître paradoxal pour quelqu'un dont on admirait l'efficacité et la parfaite adaptation à un monde hostile. Il était en effet connu pour se faire respecter, parfois brutalement, de ses compagnons et on disait de lui qu'il savait mieux que quiconque trouver sans hésitation les solutions adéquates aux multiples problèmes qui lui étaient confiés. Il passait aux yeux des autres pour un homme sans états d'âme dont le seul souci était d'aboutir au résultat escompté le plus rapidement et le mieux possible, sans s'encombrer des réticences ou des hésitations qui paralysent souvent les meilleures volontés. On le voyait comme un chef en puissance, un des rares à pouvoir, si la chance le voulait, succéder un jour à Lermontov. Pourtant cette image était trompeuse. En réalité, Blois en était arrivé, les années passant, à s'entourer d'une épaisse carapace de savoir-faire et d'apparente assurance qui le faisait passer pour bien plus insensible qu'il n'était. En d'autres temps, mais bien sûr il ne pouvait pas s'en douter, il aurait été un chef de famille aimant et aimé, capable de partager sa vie entre son travail au sein d'une entreprise où il aurait été apprécié pour sa compétence et sa gentillesse et une femme et des enfants auxquels il aurait consacré le plus clair de son temps. Le hasard en avait décidé autrement et il s'était retrouvé dans un univers dangereux où, le plus souvent, faire confiance à l'autre, c'était signer son arrêt de mort. Pour survivre, pour ne pas être éliminé à son tour comme tant d'autres, plus faibles ou moins chanceux, il lui avait fallu se construire cette enveloppe de certitude et d'indifférence qu'on lui enviait mais qui ne le représentait que partiellement. Certains soirs, quand lassé des éternelles parties de cartes ou de dés et des racontars divers sur les uns et les autres, il regagnait la pièce qui lui servait d'appartement, il ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur l'existence insatisfaisante qui était la sienne. Il revoyait la vie de l'enfant qu'il avait jadis été, entouré de sa mère et de sa sœur, coulant des heures relativement insouciantes pour l'époque. Il habitait alors une vieille maison, une grange plutôt, non loin de la grande ville qui étalait ses ruines encore flamboyantes. La vie était rude mais on pouvait y rencontrer des voisins compréhensifs qui passaient par les mêmes souffrances. Un semblant de vie communautaire s'était reconstitué et il y avait même un vieil homme barbu, le père Florent, qui instruisait occasionnellement les enfants des alentours. C'était comme ça que Blois avait appris à lire, un luxe insolent pour ce monde barbare qui vivait au jour le jour. Des livres, il y en avait à foison, resurgis du fond d'une civilisation à présent éteinte, et qui n'intéressaient plus personne excepté un enfant comme lui qui passait l'essentiel de ses nombreuses heures de liberté à rêver sur ces morceaux de papier moisi. C’est grâce aux livres qu’il avait appris à réfléchir, à jauger, à comparer. Certains d’entre eux, évidemment, parlaient de techniques et de machines qu’il ne comprenait pas. D’autres évoquaient des pays étrangers, des villes lointaines dont certaines étaient situées au delà des mers, ces immenses étendues d’eau qu’il n’avait jamais vues et qui, paraît-il, existaient quelque part. Avec les livres, Blois avait appris que d'autres gens, avant, avaient connu une existence différente, effrayante par certains aspects qu'il avait du mal à concevoir mais qui lui faisaient soupçonner que le temps présent n'était peut-être pas inéluctable. Au hasard de ses lectures forcément disparates, il avait appris les étoiles, les plantes, les animaux et même la psychologie si particulière des hommes, encore qu’il s’agissait là des gens d’avant. Quelque chose néanmoins lui faisait soupçonner que les êtres, quelles que soient les époques et les circonstances, ne variaient guère. Sa mère le disputait de perdre ainsi son temps à des rêveries et sa sœur se moquait de lui dont elle prétendait qu’il avait la tête dans les nuages. Mais d’imaginer que d’autres mondes que le sien pouvaient peut-être encore exister quelque part au-delà des montagnes et des plaines le consolait de la médiocrité de sa condition présente. Par force, il en était venu à utiliser une langue imperceptiblement différente, plus riche, plus féconde que celle, amoindrie, qui avait cours autour de lui, une singularité qui lui était restée et qui, parfois, déroutait son entourage.

         Malheureusement, le hasard - ou la malchance, c'était peut-être la même chose - avait mis brutalement un terme à cette existence en apparence figée. Les Étrangers venus de l'Est étaient un jour réapparus, comme ils le faisaient régulièrement tous les deux ou trois ans, mais cette fois-là, pratiquement personne n'avait eu le temps de se cacher, de se fondre dans la nature indifférente. Il y avait encore eu des morts, des incendies, des pillages, la dispersion et le vol des maigres ressources patiemment accumulées par ces survivants de la misère. Blois avait été sauvé par ses livres qu'il avait pris l'habitude d'explorer dans la vieille cabane perdue dans les arbres qui lui servait de refuge. Quand il avait osé réapparaître, il avait retrouvé, près des ruines calcinées de sa maison, les cadavres atrocement mutilés et torturés de sa mère et de sa sœur. Les Barbares avaient emmené tout ce qui présentait un quelconque intérêt à leurs yeux, n'abandonnant que ruine et que mort. Il avait cru devenir fou, Blois. Des jours entiers, il avait erré dans la campagne désolée, se nourrissant de racines et de petits animaux piégés au hasard. C'était bien des années auparavant mais il s'en souvenait comme de la veille. Plus tard, associé avec d'autres pauvres hères comme lui, il avait juré de ne plus jamais se laisser surprendre, d'où son enthousiasme ultérieur à s'intégrer au dispositif que Lermontov bâtissait pour protéger ce qui devint le Village. Depuis, pas un seul jour, il n'avait failli à la mission qu'il s'était fixée : défendre, jusqu'à la mort s'il le fallait, les biens et les gens du Village. Même au risque d'être cruel ou injuste avec ceux qui ne méritaient pas d'en faire partie. Même s'il fallait accomplir des horreurs pour en éviter de pires. Avant de s'endormir, avant de souffler la bougie qui dispensait une lumière mesquine et blafarde dans sa chambre, il repensait à ce qui était écrit dans les livres et se demandait si, un jour, une autre forme de société pourrait réapparaître, un monde civilisé comme celui d'avant. D'avant la barbarie. Il en doutait mais espérait quand même. Il avait, avec Lermontov ou d'autres soldats, parfois même avec les femmes qui partageaient incidemment son lit, évoqué ce grand problème qui lui tenait tant à cœur mais devant l'étonnement et les rires, il s'était résolu à ne plus parler de ces visions qui finissaient par ternir aux yeux des autres l'image qu'il s'était forgée. Cela n'intéressait personne d'autre que lui. Les autres se contentaient - et il pouvait le comprendre - de gérer le temps immédiatement présent. Ce qui était déjà beaucoup. Mais que c'était dur souvent de décider la mort des autres, la mort de ceux qui, à tort ou à raison, pouvaient présenter un danger pour le Village ! Il ne le montrait jamais mais ce sentiment étrange et démobilisateur, la pitié, la pitié pour tout ce qui essayait de survivre, l'obligeait à prendre sur lui pour accomplir ce qu'il jugeait être son devoir. En dépit de toutes les années passées à vivre cet enfer intermittent, il ne s'était pas totalement habitué. Il comprenait que jamais il ne pourrait être complètement l'égal de ces barbares incultes et indifférents qui dominaient le monde nouveau mais il savait aussi que jamais, même sous la torture la plus extrême, il n'avouerait cette faiblesse. Blois était une sorte de romantique réaliste égaré dans un monde de rustres.

         C'était peut-être pour cela, l'idée lui en vint un soir soudainement, qu'il s'intéressait tellement au sort de la fille sauvage. Elle, elle ne semblait pas être une barbare au sens que Blois accordait à tous ces gens déshumanisés que la misère, l'indifférence et la mort avaient rendu complètement insensibles à la souffrance des autres. Ce n'était bien entendu pas non plus quelqu'un de civilisé comme les habitants du Village. Camille, à ce qu'il pressentait, était encore autre chose, plus impénétrable et pourtant si proche de ce qu'il aurait pu lui-même devenir. C'était un animal intelligent et solitaire, une de ces créatures intraitables qui avait appris à ne compter que sur elle-même. Quand il s'en approchait, toujours terriblement méfiant, il ne pouvait s'empêcher de lire dans les yeux gris et calculateurs cet incroyable instinct de survie, cette volonté farouche, presque effrayante, de lutter jusqu'à la dernière extrémité, jusqu'à l'ultime souffle et, d'une certaine manière, cela, il l'admirait. Il savait néanmoins que jamais il ne pourrait totalement avoir confiance en elle, qu'il persisterait chez elle des zones d'ombre, des pulsions profondes, qui la rendraient toujours imprévisible. Il ne désespérait toutefois pas de l'amener à surmonter sa méfiance et son hostilité innée. Contrairement à ce qu'il avait d'abord cru, il était à présent certain qu'il ne servirait à rien de la contraindre trop brutalement. Mieux valait l'amener à comprendre qu'elle devait rallier le Village non par obligation mais par intérêt. Ce qu'au fond il lui proposait, c'était une survie plus facile et surtout plus efficace que son existence solitaire qui, tôt ou tard, l'aurait conduite à la destruction. Était-elle encore capable de le comprendre, il n'avait aucun moyen de le savoir mais cela valait la peine d'essayer. Capter cette énergie brute, la détourner de son existence sans justification, serait très certainement profitable à tous. Blois ne savait pas réellement comment s'y prendre avec elle mais il était sûr qu'il n'y avait pas d'alternative. Il s'agissait d'un jeu dangereux et serré, sous le regard hostile des autres qu'elle effrayait, mais d'un jeu passionnant. A lui de sentir jusqu'où il pouvait aller : pour cela il avait du temps et de la patience. Jusqu'à un certain point.

     

     

                Lime n'apercevait d'elle que l'extrémité de deux de ses pattes. Il fallait être vraiment vigilant pour savoir qu'elle était là, attentive, patiente, si patiente. Par le soupirail, un rai de lumière grise éclairait faiblement la plus grande partie de la toile qui en prenait des reflets ouateux. Un piège, un piège sublime qui se refermait en un éclair sur la misérable bestiole qui avait le malheur de s'y risquer. Alors, tandis que l'insecte n'avait pas encore eu le temps de réaliser, l'araignée, noire comme la mort, avertie de la présence de l'intrus par les infimes vibrations que le prisonnier communiquait à la toile, se jetait sur sa proie qu'elle entourait de ses pattes fines et pourtant robustes. Quelques secondes encore et elle enroulait la créature à présent inerte dans son linceul de soie avant de repartir reprendre sa veille, l'esprit en repos de savoir son garde-manger rempli. Lime, de temps à autre, capturait une fourmi ou un cafard afin d'assister à l'inévitable mise à mort. Il était littéralement fasciné par la scène. Il sentait comme une analogie entre la sentinelle de la toile et son sort à lui qui, des heures durant, occupait la cave et guettait le moindre mouvement, le moindre bruit venus de l'extérieur. La cave, c'était sa toile. Mais la ressemblance s'arrêtait là car il devait s'aventurer à l'extérieur pour savoir ce qu’il s'y passait et la plupart du temps, à l'inverse de l'araignée, il devait se renfoncer entre les pierres, la proie éventuelle étant trop forte pour lui, même avec l'effet de surprise escompté. Mais l'araignée, comme lui, passait ses journées à attendre et c'était la raison pour laquelle il ne l'avait pas détruite comme il faisait habituellement de tout ce qui bougeait, du moins quand il le pouvait. Lime s'étira et rejeta sur lui l'assemblage hétéroclite de vieilles couvertures et de cartons pour s'en faire une petite tente où il pourrait humer avec délice sa propre chaleur. Il commençait à faire froid. La mauvaise saison approchait. Une douleur soudaine à la bouche le fit grogner faiblement. A nouveau cette saloperie de dent. Il ne pouvait rien faire d'autre que d'attendre que la douleur s'en aille d'elle même. Il toucha le chicot sensible d'un doigt crasseux qu'il retira précipitamment devant l'éclair qui s'était transmis à toute sa mâchoire. S'il n'y avait pas ces putains de dents, ce que la vie serait belle ! Merde, il ne savait vraiment pas quoi faire avec elles. Une fois, il y a longtemps, une autre dent l'avait taraudé. De guerre lasse, il l'avait fait sauter avec le manche de son canif mais le remède avait été pire que le mal : des jours durant, il avait souffert le martyre. Une espèce de boule avait gonflé dans sa bouche et l'avait presque empêché de manger. Il pouvait encore sentir avec le bout de sa langue la petite dureté cicatricielle. Il savait à présent que mieux valait attendre que ça se calme spontanément. Tout finit par passer, il suffit d'avoir de la patience.

         Le jour commençait à décliner. Encore un moment et ce serait nuit noire. Là aussi, il y avait une différence entre l'araignée et lui. Elle, sans doute, elle s'apprêterait à passer une nuit bien tranquille au fond de sa toile, à prendre des forces pour la journée à venir mais lui, il lui faudrait sortir. Il lui fallait retrouver les autres et, avec eux, partir en chasse pour ramener le minimum à manger. Lime n'aimait pas sortir. Il se sentait trop vulnérable à découvert même si la nuit le cachait aux regards des ennemis éventuels. Mais s'il n'y allait pas, les autres partiraient sans lui et si jamais ils trouvaient quelque chose, il pourrait s'accrocher pour le partage ! Et qui sait ? Peut-être ce soir, ils allaient débusquer un chat, quelque rat ou peut-être même un dogue errant. Il en salivait d'avance. Il voyait déjà la carcasse rôtir en tournant sur le feu de Jacmo, bien à l'abri des regards indiscrets, là-bas, dans le tunnel qui servait de refuge au petit groupe. Il y aurait Jacmo, bien sûr, le verbe haut et le poing déjà serré, et puis Lady qui, peut-être, ce soir accepterait enfin de venir chez lui si Jacmo ... Et puis Lion Noir et Tronche évidemment. Cinq. Ils seraient cinq. Ni trop, ni trop peu. Le nombre parfait pour une meute efficace.

         Il enfila le manteau déchiré et moisi puis, pour faire bonne mesure, passa également la grosse veste qu'il avait trouvée dans la vieille baraque pourtant déjà tant de fois explorée à quelques rues vers le sud. La veste en gros tissu que Tronche lui enviait tant. Lime sourit sans s'en rendre compte à l'évocation du souvenir agréable. Pouvait attendre, le salaud... Lady, à elle, si elle voulait bien venir ... Et encore. Pas sûr. Lime s'empara de sa casquette en velours qu'il enfonça profondément sur ses yeux. Le pique-feu enfin. C'était son arme, le pique-feu. Il savait s'en servir à merveille : une arme légère, facile à porter ou à dissimuler, facile à utiliser. Enfin, pour lui. Il ne comptait plus le nombre d'animaux ou d'hommes qu'il avait estourbis avec. Il fallait viser les yeux, toujours les yeux, c'était la règle à respecter. Quand on touchait du premier coup, y avait plus de problème. Mais fallait savoir y faire. Jacmo, il appelait ça un tisonnier mais c'était un pique-feu, c'est comme ça que la vieille disait quand il était gamin. Un pique-feu. Pour la première fois depuis si longtemps, il venait de repenser à la vieille. Il avait vécu toute son enfance avec elle. Rien que lui et elle. Elle disait qu'elle était sa mère. Pas sûr. En tout cas, toute vieille qu'elle était, plus tard, elle était aussi devenue sa femme. Mais, à la longue, elle s'était surtout montrée gênante, la vieille, toujours à râler, à lui dire ce qu'il devait faire ou ne pas faire, à lui donner des ordres, à lui crier dessus pour un oui, pour un non. Elle avait tellement exagéré qu’un soir, elle avait pris son pique-feu en pleine figure et depuis il était tranquille. Il n'avait jamais regretté de s'en être débarrassé, de cette vieille râleuse puante. Il préférait être seul, Lime. D'ailleurs, s'il n'avait pas eu besoin d'eux pour bouffer, jamais il ne serait allé retrouver Jacmo et les autres. Il jeta un dernier regard vers sa copine l'araignée - mais, bien sûr, dans l'obscurité quasi-totale il ne pouvait plus la voir - et grimpa lentement les marches qui conduisaient vers le hall dévasté de l'immeuble sous lequel il vivait. Dehors, une faible luminosité trahissait la fin du jour. Pas de lune en raison des nuages bas qui avaient traîné toute la journée. Dans quelques instants, il ferait nuit noire mais Lime s'en moquait complètement. Il connaissait le chemin par cœur. Et puis il n'était pas comme le vieux Tronche : il avait une ouïe et une vue parfaites. Même au beau milieu d'une nuit totale. Il attendit deux ou trois minutes à l'abri du porche et, satisfait, s'avança dans la rue.

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         Ce qui manquait le plus à Camille, c'était de pouvoir bouger. Pouvoir courir dans la forêt, observer la Nature, guetter les animaux, sentir le souffle du vent dans ses cheveux, respirer les enivrantes odeurs de la liberté. Immobilisée à demeure sur l'infect petit lit, elle dormait peu mais somnolait souvent. A deux pas de la conscience, elle vivait presque toujours les mêmes parties de chasse et les longs affûts au creux d'un buisson, cette activité d'une certaine manière insouciante qui avait jusque là expliqué son existence. Quand elle émergeait de ses rêves, engourdie et désespérée, elle regardait sans les voir les misérables murs qui lui servaient de prison. La nuit surtout, elle épiait chaque bruit, chaque mouvement de son univers sauvage qu'elle savait si proche et si inaccessible. Un soir, peu après le début de sa claustration, un orage terrible avait éclaté. La lumière du ciel en colère illuminait par instant, comme en plein jour, la petite pièce. L'eau venait s'écraser contre les fenêtres. Sous les éclairs, elle pouvait voir les gouttes ruisseler et se tortiller comme des vers de terre sur les restes de vitres et cogner contre les planches et les bandes de papier épais qui les complétaient. L'eau, infiltrée par de multiples interstices, avait envahi le plancher et les taches plus foncées qu'elle formait, visibles par à-coups, s'étendaient presque jusqu'au petit lit. Les narines de Camille palpitaient à l'odeur puissante de l'orage. Avant, quand le ciel exhalait sa colère, elle se pelotonnait dans le fond de la maison à observer le feu clair de la cheminée que, pour une fois, elle pouvait laisser aller à sa guise. Jamais elle ne sortait dans la pluie et les grondements de colère de la Nature. Elle faisait comme tous les autres animaux qui attendaient l'accalmie. Mais ce soir-là, dans sa prison, elle aurait donné un de ses bras pour sentir l'eau sur son visage. Elle espérait presque que le feu tombe sur le Village. Peut-être aurait-elle pu en profiter pour s'enfuir, elle ne savait comment. Mais le calme revint et elle était toujours attachée à son petit lit, dans le secret de sa solitude.

         Deux fois par jour, une femme muette venait lui apporter un peu de nourriture et d'eau avant de changer le seau. La femme ne prononçait jamais un mot et Camille qui n'aurait pas accepté de lui répondre mourait d'envie de lui poser une foule de questions. Mais la porte se refermait chaque fois sur le silence ininterrompu.

         Camille en arriva à perdre la notion du temps. Elle identifiait bien l'alternance des jours et des nuits mais sans être capable d'évaluer la durée de son enfermement. Autant, dans sa maison ou lors de ses longues traques, elle avait appris à compter avec précision les bêtes qu'elle repérait, les plantes qu'elle ramassait, l'état de ses réserves et même le temps qui passait grâce à la luminosité du jour, autant, dans cette atmosphère de peur et d'inconnu, son esprit se brouillait et la laissait dans l'incertitude. Elle avait l'impression que son état actuel durait depuis toujours, en tous cas depuis si longtemps que sa liberté perdue se confondait presque pour elle avec l'époque si ancienne de Lud. Souvent l'image de Serp venait la meurtrir. Elle se demandait ce que faisait et où était son compagnon. Peut-être rôdait-il autour du Village, scrutant désespérément la nuit à la recherche de sa maîtresse ? Un soir, elle entendit dans le lointain une succession brève d'aboiements rageurs, comme ceux que laissait échapper le puissant animal dans l'excitation d'une poursuite, mais elle n'était sûre de rien et elle se renfonça sur sa paillasse. N'était-ce pas plutôt un bruit imaginaire, une de ces voix de l'intérieur dont la mère lui disait jadis que leur seul but était de rendre fous ceux qui les écoutaient ? Elle se sentait dans un état étrange. Une partie d'elle-même était avidement à l'écoute du monde extérieur si impénétrable. Elle distinguait ainsi des bruits multiples et infimes, cris d'oiseaux éloignés, minuscules bourdonnements d'insectes, mouvements des Étrangers à plusieurs maisons de là, sons divers et à peine reconnaissables, tout un monde qui continuait d'exister sans elle et dont elle cherchait à capter la moindre palpitation. Mais une autre part de son être, de plus en plus pesante, tirait à l'inverse. Une voix dans sa tête lui soufflait que tout cela ne servait à rien, qu'elle ne reverrait jamais les collines qu'elle aimait si fort, qu'elle allait mourir parce que les Étrangers la tueraient dès qu'ils se rappelleraient son existence à moins qu'ils aient tout simplement décidé, par une de leurs cruelles plaisanteries, de la laisser dépérir ici en se vidant progressivement de ses forces. De fait, elle comprenait bien qu'elle s'affaiblissait. Son manque d'activité la minait, elle qui était si dépendante des grands espaces. Elle se sentait chaque jour un peu plus misérable. Le bras par lequel elle était attachée, toujours le même depuis le début, lui faisait mal en permanence d'avoir été trop souvent tiré contre l'obstacle des menottes, parfois complètement involontairement. La bouillie et la viande que lui apportait la femme muette ne lui faisaient plus guère envie et si elle mangeait encore régulièrement, c'est qu'elle se forçait pour ne pas perdre trop rapidement sa bonne condition physique, seul moyen de son éventuelle évasion. Camille oscillait entre le découragement et la vigilance accrue de ceux qui n'ont plus rien à perdre et cette ambivalence, très certainement, la rendait d'autant plus dangereuse.

         Elle sursauta brutalement quand elle entendit la clé dans la serrure de la porte à une heure tout à fait inhabituelle. Ce ne pouvait être la femme où alors elle venait pour une visite spéciale. Elle se pelotonna dans sa veste de fourrure qu'elle ne quittait plus depuis plusieurs jours en raison du froid intense et se laissa glisser sur le lit, tous ses sens aux aguets. La porte en s'ouvrant laissa entrer une bouffée d'air frais dans l'atmosphère confinée de la chambre. L'homme en cuir était revenu et l'observait tranquillement depuis l'entrée. Il s'avança enfin, se saisit de la chaise et s'y assit à califourchon, les bras sur le dossier, continuant de l'observer en silence. Camille ne disait rien mais ses yeux ne quittaient pas l'homme une seule seconde.

              - Je viens voir, murmura Blois d'une voix sourde, si tu as réfléchi à ma proposition de l'autre jour. Face au silence de celle qui le regardait avec tellement d'intensité, il poursuivit : Faut te dépêcher de te décider, ma grande. Je ... On n'a pas les moyens de te garder ici trop longtemps. Parle, je t'écoute.

              - Faut changer la corde de fer. Camille a mal au bras.

         Ce n'était pas ce qu'attendait Blois mais enfin la fille avait dit quelques mots. Un début encourageant. Il s'approcha du lit, vérifia qu'effectivement le lien meurtrissait la jeune femme et sortit son poignard dont, durant tout le temps que dura l'opération de changement de bras, il laissa la pointe au contact du cou fragile de sa prisonnière. Puis, silencieux, il retourna s'asseoir. Camille se l'était maintes fois répété, elle ne composerait pas avec ses ravisseurs. Jamais elle ne leur ferait confiance. Pourtant, elle changea brusquement d'idée, sans doute avec l'arrière-pensée qu'en paraissant entrer dans leur jeu, elle trouverait certainement plus d'occasions de s'échapper qu'en restant cloîtrée sur son lit. Pour la première fois depuis qu'elle était tombée entre les mains des Etrangers, elle arbora un franc sourire qui dévoila ses petites dents très blanches. Blois observa avec une méfiance extrême ce sourire, ce changement d'attitude.

              - Camille veut bien être un soldat. Un soldat du Village. Elle veut bien essayer.

         Blois qui était venu pour cela était surpris de cette victoire inattendue, inquiet soudain de ce revirement trop facile. A son tour, il lui rendit un sourire hésitant et, extraordinairement soupçonneux, attentif à surprendre chez la jeune fille le plus petit signe de duplicité, de dissimulation, il lui expliqua ce qu'il attendait d'elle. Dans un premier temps, visiter le Village, connaître et comprendre ses habitants. Puis, si tout se passait bien, si elle était acceptée, lui apprendre le métier de défenseur de la petite communauté. Blois se chargeait de tout ça. C'était à lui, et à lui seul, qu'elle avait été confiée. Il insista sur le fait que longtemps, tant qu'il ne serait pas sûr d'elle, elle serait menottée et étroitement surveillée, d'abord par lui, bien entendu, mais aussi par tous les autres, tous les autres qui, elle devait en être absolument convaincue, ne l'aimaient pas, trouvaient dangereux son intégration éventuelle et ne laisseraient passer aucune occasion de l'éliminer si nécessaire. Il termina son petit discours en l'assurant que lui, Blois, il lui faisait jusqu'à un certain point confiance et que cette confiance devait être réciproque.

              - Camille a compris. Elle cherchera pas à s'échapper. Elle regardera les gens. Elle cherchera à comprendre les choses ... Elle veut défendre le Village.

         Blois, peu convaincu, hocha la tête et partit sans ajouter un mot, renvoyant Camille à ses réflexions.

        De nouveau, le même rythme de vie végétative. La même femme aux mêmes heures mais alors que Camille commençait à se désespérer et à croire que l'homme en cuir avait en définitive décidé de ne pas lui faire confiance et l'avait oublié à sa misère, le matin du troisième jour suivant, il revint. Il réapparut, de manière toujours aussi inattendue, alors qu'il faisait encore nuit noire mais il était vrai que les jours, depuis quelques temps, raccourcissaient rapidement. Blois était accompagné de deux autres personnes dont l'une était la femme aux longs cheveux noirs de sinistre mémoire pour Camille. L'autre, un homme dont elle ne put distinguer que la silhouette massive, tenait une torche qui produisait une odeur âcre et parsemait les murs de la prison de lueurs tremblotantes. Sans un mot, ils s'avancèrent vers le lit où leur prisonnière, les muscles bandés, l'esprit en parfait éveil, les attendait, yeux écarquillés et respiration contenue.

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         Jordan était un petit homme tout en rondeurs ce qui était rare à une époque où les conditions changeantes et la difficulté à trouver régulièrement de la nourriture rendaient les gens plutôt maigres. Il présentait également une autre caractéristique singulière au sein de cette population renfermée et volontiers méfiante : la volubilité. Il parlait énormément, commentant abondamment ses propres actes ou les attitudes de chacun. Cette apparente bonhomie le rendait sympathique à la plupart de ses compagnons même si parfois, ceux-ci, après une avalanche de paroles, couraient retrouver leurs marques auprès de plus taciturnes. Jordan était, tout comme Blois, un des trois adjoints de Lermontov, un de ceux que, par allusion à un passé militaire aujourd'hui oublié, on appelait lieutenant. Mais pour l'heure, et si depuis quelques minutes il parlait beaucoup, ce n'était pas avec amabilité. En réalité, il étouffait littéralement de rage. L'objet de sa colère était Camille. Ou plutôt, car la malheureuse était loin de se douter qu'elle était le sujet d'une discussion aussi âpre, la proposition de Blois de permettre son intégration au Village. Comme le voulait la coutume, Blois était venu exposer au Conseil les raisons pour lesquelles il n'avait pas jugé nécessaire l'élimination immédiate de l'étrangère. Conseil était d'ailleurs un bien grand mot pour une réunion qui regroupait en fait Lermontov et ses trois adjoints, augmentée il est vrai du représentant le plus âgé de ceux qu'on appelait les Sages du Village mais qui ne disposait que d'une voix consultative. On avait d'abord auditionné les autres membres du troisième commando. Cela avait permis à Lydia d'insister sur la personnalité sûrement dangereuse et imprévisible de la prisonnière. Elle s'était exprimée sans état d'âme, certaine, et de la justesse de son analyse, et de la neutralité dont elle faisait preuve. Blois, en l'écoutant, en était venu à douter de sa décision tant il avait confiance en Lydia, en son bon sens, en son expérience, en son professionnalisme pour tout dire. Les trois soldats une fois sortis, il essaya de s'expliquer mais il n'était sûr de rien et, à mesure qu'il parlait, il se rendit lui-même compte du flou et de l'approximation de son argumentation qui reposait essentiellement sur des impressions difficilement transmissibles. Après que Launois, le troisième lieutenant, ait émis les plus sévères réserves sur l'expérience, ce fut donc à Jordan de donner son sentiment. Le petit homme, après un temps de silence, avait lui aussi avancé ses doutes, calmement dans un premier temps, puis, comme cela lui arrivait souvent, il s'était peu à peu laissé prendre au son de sa propre voix jusqu'à laisser éclater une hargne violente, une rage totale, qui auraient surpris venant de quelqu'un d'autre. Le silence une fois revenu, Lermontov, qui n'avait pas encore prononcé un mot, se leva et se mit à marcher lentement d'un mur à l'autre de la grande salle de ce qui, jadis, avait été la mairie du village. Il prit son temps. Blois savait qu'après avoir exposé leurs points de vue, aucun des adjoints ne devait reparler. Le silence s'éternisa, à peine rompu, de temps en temps, par les toussotements du vieux sage, gêné d'assister à une délibération qui le concernait peu. Heureusement pour lui, on ne lui demanda rien. Enfin, cessant sa déambulation muette, Lermontov revint s'asseoir.

              - Je crois que, en définitive, je suis d’accord avec Blois. Et devant les regards étonnés des autres, il précisa : je sais, je sais. Cette femme est une blésine (1). Elle est même dangereuse et, comme le dit Jordan, si elle nous échappe, elle est très capable de renseigner je ne sais pas qui. Mais, à nous d'empêcher qu'elle s'échappe, pas vrai ? D'aut’ part, j'avoue qu'une fille qui a passé tant de temps toute seule... car elle vivait bien toute seule, s’pas ?

             - C'est ce qu'elle a fini par avouer, répondit Blois, et c'est ce que nous avons pu constater en fouillant sa case (2) et en ne trouvant...

              - Bien, bien. Donc, elle vivait seule. Et puis il y a ce dogue avec elle, qu'elle faisait si bien obéir à ce que tu m'as dit ... Nous avons besoin de gens comme ça, vous le savez bien. Elle, elle ferait un excellent soldat, non ? Reste à la mettre au pas. À la mater rapido. Ce sera ton rôle, mon cher Blois.

         Jordan chercha à revenir à la charge.

               - Mais, voyons, Ler ...

              - Zéro pointé, Jordan, j'ai pris ma décision. Je la confie à Blois. Mais c'est un sursit, rien qu'un sursit, s’pas ? Au moindre incident, on s'en débarrasse. Allez, le Conseil est terminé.

         Blois était aussi surpris que les autres par le verdict de Lermontov mais, évidemment, il ne le montra pas. Revenant dans la petite maison qu'il habitait à deux rues de là, il se demanda s'il ne s'agissait pas d'un cadeau empoisonné de la part de son chef qu'il soupçonnait depuis un certain temps déjà de prendre ombrage de son influence grandissante dans la petite communauté. Il haussa les épaules. Non. Pas le genre de Lermontov. Et puis il y avait tant d'autres moyens de lui mettre des bâtons dans les roues. Mais restait la fille, ce qui n'était pas une mince affaire. Que pouvait-on espérer de gens comme ça, des bêtes à moitié sauvages habituées à vivre seules sur une colline désolée ? Des êtres sans aucun contact avec la civilisation ou ce qu'il en restait. Ce qu'il fallait, c'était la briser, lui faire comprendre qui étaient les maîtres, lui démontrer que c'était la seule façon pour elle de s'en tirer. Qu'elle avait de la chance de ne pas être déjà en train de pourrir dans les ruines incendiées de sa misérable bicoque. Oui, la former, l'intégrer. Blois trouvait l'idée amusante. Cela changerait de la Vie bien réglée et assez monotone du Village. On verra bien, pensa-t-il en entrant chez lui. D'ailleurs, si ça ne marche pas, ce sera facile de l'éliminer. Sans remords. Mais du coup sans regrets non plus.

     

     

         Lydia se retourna vers les deux hommes qui se tenaient légèrement en arrière d'elle et, après avoir fait jouer la serrure, s'appuya lourdement sur la porte qui s'ouvrit en grinçant. Elle n'entra pas immédiatement et laissa ses yeux s'acclimater à l'obscurité. Elle s'empara de la torche que lui tendait un des deux hommes. La lueur tremblotante lança des ombres changeantes sur les murs parfaitement nus. La fille se tenait accroupie dans le coin le plus éloigné de la porte et l'observait avec des yeux vides, égarés. De l'autre côté, une flaque de liquide. La puanteur était extrême et Lydia fronça le nez avant de déclarer :

              - Allez, toi, tu viens avec nous.

         Sans attendre de réponse, elle tourna les talons. Les deux hommes se saisirent de Camille dès qu'elle apparut sur le seuil et la traînèrent derrière Lydia. Les yeux de la prisonnière s'embuèrent de larmes quand, sans ménagement, elle fut poussée à l'extérieur du bâtiment, dans la lumière. Il faisait plein jour et un soleil radieux soulignait chaque détail des maisons. Camille observa avec curiosité cette vie si nouvelle pour elle. Les gens qu'ils rencontrèrent, essentiellement des femmes, ne s'occupaient pas d'eux. Elles marchaient par groupes de trois ou quatre, souvent lourdement encombrées de linge, et se dirigeaient toutes en sens inverse du petit groupe. Elles parlaient fort et certaines riaient. Plus que leur activité, indéchiffrable pour Camille, c'était leur décontraction, leur absence de contrainte qui l'impressionnèrent. Lydia s'arrêta soudain et attendit que sa prisonnière arrive à sa hauteur.

             - Bon, je t'explique. D'abord, faut bien que tu comprennes : un geste, un seul, et on t'élimine. Pour le reste, on va te confier à Blois qui s'occupera de toi. Avant, on a un peu de travail à faire. Mais souviens-toi : t’as de la chance d'être encore en vie alors...

         Lydia ébaucha un geste négligeant de la main avant de donner le signal de la reprise de la marche. En réalité, il y eut deux étapes. D'abord, on conduisit Camille dans un étrange bâtiment où on la déshabilla en dépit de son opposition et où les deux femmes âgées, entièrement vêtues de gris, qui l'avaient prise en charge, la forcèrent à s'immerger dans une espèce de grand bac empli d'eau glacée. Couverte de mousse blanche, tremblante de froid, Camille toussait et crachait désespérément le liquide. Ses yeux la piquaient, sa peau la brûlait mais, sous l’œil attentif de Lydia et surtout à cause du poignard que celle-ci tenait ostensiblement à la main, elle n'osa pas protester. Sa volonté paraissait l'avoir abandonnée et ses résolutions de lutte à mort patiemment échafaudées au cours de la nuit étaient oubliées. Elle comprenait bien qu'on la lavait mais elle s'épouvantait de ce que cela pouvait signifier. L'épreuve cessa enfin et les deux vieilles la séchèrent avant de lui tendre des vêtements nouveaux, un pantalon collant d'épais drap bleu, une chemise verte à manches longues dont les extrémités étaient curieusement resserrées aux poignets et une grosse veste de fourrure usagée mais parfaitement propre. Elle détesta ce déguisement imposé mais ne put s'empêcher de sentir avec plaisir le contact du tissu sur sa peau. Elle retrouva les deux hommes à la porte de la pièce et resta une fraction de seconde médusée à les voir faire de la fumée avec leurs bouches. Mais elle ne voulait s'étonner de rien et regarda ailleurs.

         Toujours encadrée de son escorte, Camille fut ensuite conduite dans un grand bâtiment austère de la même petite rue et introduite dans une immense pièce où le seul mobilier visible semblait être des dizaines de tables et de chaises. Elle se jeta sur la nourriture qu'on lui apporta. Son dernier repas remontant aux biscuits de la veille au matin, elle n'hésita pas à avaler le plus qu'elle le pouvait d'une sorte de bouillie brunâtre dans laquelle flottaient des morceaux de viande et de pain. Elle n'aurait jamais voulu l'avouer mais c'était appétissant et avait bon goût. Elle mangeait avec avidité, négligeant volontairement les couverts qui lui étaient proposés, et ne se décida à ralentir son rythme que devant l’œil vaguement réprobateur de sa gardienne aux longs cheveux bruns. Enfin gavée, après une nouvelle marche forcée, elle fut traînée dans une des maisons adjacentes et jetée dans une pièce minuscule où on l'attacha par les poignets à un petit lit en fer. Sans un mot, Lydia claqua la porte derrière elle, l'abandonnant à ses incertitudes. Elle parcourut la pièce du regard : le lit, une chaise, une table et une armoire, un seau, rien de plus. Pourtant, l'ensemble donnait une impression de calme, presque d'intimité. Elle ne pouvait y entendre que les gémissements lointains d'un animal inconnu et, malgré son désir intense de rester totalement vigilante, les frayeurs de la nuit sans sommeil, le bain glacé, toute cette nourriture ingérée si rapidement, la plongèrent petit à petit dans une torpeur languissante.

     

     

         Le brouillard épais et blanc. Par instants des trous dans le coton qui se disjoint et à travers lesquels on peut voir la terre grasse d'où s'élèvent des fumerolles claires. [Camille doit fuir. Les étrangers. Peux pas les apercevoir pourtant ils sont là, tout prêt. Ils veulent tuer Camille.] Mais la terre est gluante et retient ses pieds. Du bruit derrière elle, des coups de sifflet. [Camille doit essayer. Elle doit se cacher dans la forêt.] Elle veut serrer sa hachette dans sa main mais elle a du mal à l'extraire de sa ceinture. Elle n'arrive pas à bouger. Tout ce temps perdu alors que les étrangers, elle le sait, avancent derrière elle. Elle court. Le paysage a changé. C'est la forêt. Celle qu'elle connaît bien mais que, pourtant, elle n'arrive pas à identifier avec certitude. [Camille doit grimper tout en haut de la butte pour se cacher. Il y a une petite grotte sous les buissons. Là, les étrangers ne la trouveront pas mais elle doit faire vite. Camille est fatiguée. Tant pis, il faut arriver au refuge sinon elle va mourir.] Elle escalade la butte en se griffant aux arbustes, en se brûlant aux orties. Elle a perdu son arme mais cela n'a pas d'importance. Dans quelques secondes, elle sera à l'abri. Elle s'approche de la grotte. Un gouffre noir s'ouvre sous ses pieds. Elle sent qu'elle tombe. Elle crie.

              - N'ayez pas peur. Je vous ai déjà dit que je ne vous veux aucun mal. Détendez-vous.

         L'homme en cuir noir était revenu. De ses yeux encore hallucinés par le cauchemar, elle pouvait le voir, assis tranquillement sur la chaise, qui la regardait en souriant. Elle n'avait pas confiance. Il était revenu pour la torturer, pour la tuer lentement. Camille secoua sa main droite mais les menottes la maintenaient implacablement au montant en fer de son lit. Elle se laissa retomber vaincue.

              - Je vais vous libérer mais pas de blague, hein ? Je vous surveille.

        Il s'approcha du lit, l'observa attentivement plusieurs longues secondes puis sortit une petite clé de sa poche. Le cliquetis métallique la fit sursauter. Camille resta allongée à se frotter le poignet. L'homme en cuir était retourné s'asseoir et il la contemplait avec curiosité mais sans agressivité apparente en dépit du poignard qu'il tenait à la main.

          [C'est sûr, il veut du mal à Camille. Il veut jouer avec elle. Il la tuera si elle bouge. Il faut faire semblant. Ne pas bouger. Guetter les signes de la faiblesse. Frapper ensuite, vite, très vite.]

         Le silence était retombé et s'éternisa plusieurs minutes. Chacun regardait l'autre avec une méfiance extrême, comme deux animaux mis par hasard face à face et qui s'observent avec attention pour se jauger, pour apprécier leurs chances respectives de se neutraliser. Blois se pencha enfin imperceptiblement vers sa prisonnière et, d'une voix douce et contrôlée, prit la parole.

              - C'est vrai que nous ne vous voulons pas de mal. Du moins à condition que vous ne fassiez pas de bêtises. Et d'abord que vous ne cherchiez pas à vous échapper. D'ailleurs, on ne s'échappe pas du Village. Pas vivant en tout cas. Ecoutez, vous ne le savez peut-être pas mais vous avez de la chance. D'habitude, les gens comme vous, eh bien, on les heu... Mais moi je sais que vous n'êtes pas comme ... comme ces gens, ces étrangers qu'on rencontre parfois. C'est pour ça que j'ai décidé de vous faire confiance. Enfin jusqu'à un certain point, pour le moment ... Vous comprenez bien ce que je vous dit, n'est-ce pas ? Vous comprenez ?

         Devant le silence de la jeune femme, il reprit au bout de quelques secondes :

              - Moi, je m'appelle Blois et je suis ... Peu importe d'ailleurs qui je suis. Ce qui compte, c'est qu'on m'a chargé de m'occuper de vous. Il ne vous sera fait aucun mal, je vous le répète, mais ça dépend seulement de vous. Ce qu'on souhaite, c'est que vous vous intégriez à notre groupe. On a besoin de gens comme vous. De votre connaissance de la vie par ici. Vous comprenez ? De votre savoir-faire, de vos capacités à survivre dans ce ... ce chaos. A propos, s'il y a des choses, des mots que je dis et que vous ne comprenez pas, vous me le dites, c'est d'accord ?

              - Vous voulez l'aide de Camille pour tuer les gens comme le vieil homme d'hier ?

               - Non, pas ça. Il faudra que je vous explique pourquoi ... Mais plus tard ... Pour le moment, je veux que vous vous habituiez à nous, que vous voyiez un peu comment nous vivons ici. Qu'on apprenne à se connaître. Et d'abord, je vais te dire tu et t'appeler par ton nom, Camille. Tu es bien d'accord, n'est-ce pas ? D'ailleurs ... Moi, c'est Blois, tu te souviens ?

               - Blois ...

            - C'est ça. Maintenant, je vais te rattacher. Pour te donner le temps de réfléchir, de te reposer. Tu verras, ici, on n'est pas si mal mais ... Mais, Camille, pas de bêtises, t’as bien compris ? Faut jouer le jeu, hein ? Sinon ça ne pourra pas aller, tu le sais ... Mais on reparlera de tout ça plus tard si tu veux bien.

         Une fois l'homme parti, elle regarda longuement la porte qui venait de se refermer doucement. Puis, elle essaya de faire coulisser les menottes tout au long de l'épais barreau de fer du lit mais sans autre résultat que de se meurtrir un peu plus le poignet. Enfin, s'agenouillant à même le sol et prenant appui sur ses jambes, elle chercha à ébranler le petit lit. Rien n'y faisait : le meuble était parfaitement fixé au mur. De guerre lasse, couverte de sueur, elle s'allongea à nouveau avant de se contorsionner maladroitement pour faire glisser autant que possible la veste de fourrure qui, à présent, lui tenait très chaud. Elle devait se rendre à l'évidence : elle était totalement à la merci de ses bourreaux. Elle repensa avec fureur à Blois, l'homme en cuir qui était venue la narguer. [Camille ne le croit pas. Pas du tout. Pas plus que les autres. Ce serait trop facile. Camille sait bien qu'ils finiront par la tuer, par l'éliminer comme ils disent. Elle ne comprend rien à ce qu'ils veulent. Ils jouent avec elle, c'est tout. Confiance ? Faire confiance ? Pour quoi faire ? De toutes façons, Camille ne veut pas tuer les gens comme eux ils le font. Les gens qui ne lui ont rien fait, Camille les laisse tranquilles. Camille, ce qu'elle veut, c'est retourner chez elle. Être seule. Loin des étrangers. S'ils ne la tuent pas tout de suite, Camille trouvera un moyen pour s'échapper et elle se vengera.] Durant des heures, elle imagina tous les supplices qu'elle leur réserverait dès qu'elle serait libre. Surtout à l'homme en cuir qui se moquait d'elle. Malgré ou à cause de lui, sa haine était intacte.

     

    (1) nuisible, hostile

    (2) maison

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         La fin de la nuit approchait. Dans quelques heures ils seraient de retour et Blois n'avait toujours pas résolu son problème. Mal à l'aise, il se retourna et jura doucement en sentant glisser sa couverture de fourrure. Il la remit nerveusement en place. Plus que le froid, c'était l'humidité qui était gênante. Il lui tardait de retrouver le Village. Dans l'ombre qui s'effaçait, il devinait, tout près de lui, les corps étendus et immobiles des deux femmes : Lydia, emmitouflée au point que l'on ne voyait d'elle que quelques mèches de cheveux sombres et Jan au visage blanchi par les derniers rayons de lune. Plus loin, la forme sombre de la fille, surveillée de près par Caspienne, à deux mètres d'elle. Elle n'avait pas bougé depuis longtemps, comme si elle s'était enfin résignée à son sort. Son chien, serviteur vigilant, était lové contre elle. Lui aussi, Caspienne devait le surveiller de près mais il ne bougeait pas plus que sa maîtresse. Les bruits étranges de la nuit étaient peu à peu remplacés par les premiers appels des oiseaux. Dans quelques minutes, il serait temps de donner le signal du réveil.

         Blois bâilla imperceptiblement et se retourna une fois encore. Le sommeil était parti. Il s'assit, étira les bras puis s'immobilisa enfin. Il sentit plus qu'il ne vit que le chien avait levé la tête à son mouvement et le fixait dans la nuit. C'était cela son problème : il n'aurait jamais dû s'encombrer de la fille et de son animal. A quoi bon, en effet, puisqu'il devinait à l'avance quelles seraient les conclusions du Conseil et surtout de Lermontov. Toutefois, quelque chose en lui l'avait empêché de mettre en application les consignes pourtant parfaitement claires et mille fois répétées : on ne s'encombre pas d'un ennemi potentiel, surtout quand il est comme celui-là véritablement hostile. Alors quoi ? Un vieux reste d'humanité ? Le désir de ne pas agir comme un animal, sans réfléchir ? Ou n'était-ce pas plutôt une immense curiosité, l'envie de comprendre comment une si jeune femme avait pu survivre si longtemps loin de tout ? Blois soupira. Durant toutes ces années, au cours de toutes ces expéditions de reconnaissance, il en avait attrapé des pillards, des voleurs ou même simplement de pauvres gens qui avaient eu la malchance de se trouver sur sa route et celle de son petit groupe, celui-ci ou un autre. C'était peut-être cela au fond : la lassitude, le dégoût de devoir éliminer tous ces êtres dont certains, il en était sûr, ne présentaient pas de menaces véritables. Mais comment savoir ?

         Au début, quand le premier noyau de ceux qui allaient devenir les gens du Village avait investi presque par hasard ce qui n'était alors que quelques ruines désertées, la méfiance n'était pas vraiment de règle. Malgré tout ce par quoi étaient passés les premiers arrivants. Mais il avait bien fallu se rendre à l'évidence : dans ce monde atroce, au sein des derniers restes de ce qui, disaient certains, avait été une grande civilisation, les inconnus, les étrangers, seuls ou en groupes, étaient une nuisance. La plupart d'entre eux n'avaient qu'une seule idée en tête, voler ce qui pouvait l'être, sans souci aucun de ceux qu'ils attaquaient. C'était pour cette raison que Lermontov, le premier, avait mis sur pied des groupes d’autodéfense qui, bientôt, se mirent à résoudre les problèmes avant qu'ils ne se posent. La prévention est la meilleure des médecines, n'est-ce pas ? Depuis, on craignait le Village et on le laissait tranquille. Et, comme de juste, le Village ne s'en était pas tenu là. Ses habitants, ou plutôt ceux qu'on appelait les soldats - ou les miliciens, c'était selon - étaient passés à l'offensive. Par groupes de quatre, ils avaient ratissé les terres environnantes pour en explorer des étendues de plus en plus larges. Leur but était simple : se débarrasser des gêneurs, dangers virtuels, et permettre ainsi l'exploitation des terres nécessaires à la survie de tous. Depuis de nombreux mois, Blois arpentait la vallée et les bois. Sa stratégie, affinée au long des longues soirées d'hiver, était bien au point et efficace. Quatre soldats, hommes ou femmes peu importait du moment qu'ils n'avaient pas froid aux yeux, prospectaient un territoire, deux d'entre eux avançant directement, les deux autres latéralement pour les couvrir d'une éventuelle mauvaise surprise. On ne communiquait que par le truchement de petits sifflets qui avaient l'avantage de ne pas trahir d'emblée l'origine humaine de leurs propriétaires. Face aux rares bandes rencontrées, désorganisées et incapables de s'opposer réellement, les résultats étaient excellents. C'était encore plus facile avec les individus solitaires sur lesquels le piège se refermait sans qu'ils l'aient vu venir. C'était alors que la mission touchait à son point le plus difficile. Il fallait, souvent très rapidement, estimer ceux des étrangers qui pouvaient être utiles au Village et les séparer des autres pour les intégrer ultérieurement. En réalité, cela ne se produisait pas souvent. Ce qui ramenait Blois à son interrogation.

          Il fut tiré de sa réflexion par le sifflet presque inaudible de Caspienne qui signifiait ainsi la fin de sa dernière partie de veille. Les deux femmes se mirent immédiatement debout comme si elles n'avaient fait qu'attendre le signal. Blois, engourdi, fut plus long à se lever. On distribua les biscuits qui composaient l'ordinaire de ces petits matins d'exploration. Blois remballa son paquetage et se dirigea nonchalamment vers Camille, trois biscuits à la main. Devant les grognements du chien, il s'arrêta à deux mètres d'elle. Elle le regardait s'approcher et siffla doucement Serp qui s'aplatit à ses pieds. Encouragé, Blois tendit la main à la jeune femme pour lui permettre de se lever et lui enleva rapidement les menottes qu'il avait pris grand soin, la veille au soir, de lui passer aux mains et aux jambes. Elle paraissait toujours aussi hostile et Blois se fit la réflexion qu'il n'aurait pas voulu tomber désarmé en son pouvoir. Il tendit les biscuits. Contrairement à sa réaction de la veille, elle accepta sans réticence la nourriture qu'elle partagea avec l'animal. Ce changement d'attitude, probablement guidé par son estomac, arracha un sourire fugitif à Blois. Lydia lui toucha légèrement le bras.

              - Quand tu veux...

         Blois attendit que Camille ait avalé son dernier biscuit pour lui tendre sa gourde d'eau. Lui ayant repassé les menottes aux mains, il siffla légèrement deux fois. Lydia se posta du côté opposé de Camille. Les deux autres avaient déjà disparu.

         Le chemin du retour ne semblait pas poser de problèmes de sécurité particuliers dans la mesure où chaque mètre passé les rapprochait de ce qu'ils appelaient la zone de surveillance des gens du Village mais ce n'était certainement pas une raison pour relâcher leur vigilance. Blois n'avait aucun besoin de le rappeler à ses compagnons. Tous avaient l'habitude de ces longues marches d'exploration qu'ils savaient un danger de tous les instants mais dont ils appréciaient l'imprévu et le risque. Ils progressèrent lentement en évitant soigneusement, du moins au début, les ruines des quelques hameaux rencontrés. Ils firent un grand détour par les bois pour éviter la Ville qui s'étendait, superbe et ruinée, entre eux et la tranquillité. De la même manière, il n'était pas question de marcher sur la grande route dont l'asphalte, bien dégagée par endroits, tranchait si fortement sur le reste de la végétation. Déjà, en temps ordinaire et sans la prisonnière à surveiller, ils étaient convenus de ne jamais l'utiliser. Tous étaient conscients de la cible facile qu'ils auraient alors représentée. D'où leur progression, lente et pénible, à travers les bois et les espaces découverts mais bien garnis de toute une végétation qui avait recolonisé le sol jadis perdu. Camille marchait, tête baissée, comme indifférente à ce qui pouvait lui arriver. Le chien, quant à lui, après avoir trottiné à leurs côtés quelques centaines de mètres, s'était progressivement écarté puis fondu dans les broussailles, sans qu'aucun d'entre eux, à commencer par Camille, ne fasse le moindre geste pour le retenir. On ne le voyait plus mais chacun se doutait qu'il n'était pas loin. Lydia ne quittait pas la prisonnière des yeux et, de temps à autre, elle lui enfonçait la pointe de son poignard cranté dans les reins, plus pour qu'elle se souvienne de sa condition fragile que pour la faire avancer réellement. Lydia se méfiait extraordinairement de Camille. Elle s'inquiétait de cette fille isolée, découverte par hasard où plutôt par le pressentiment qu'elle avait eu, en arrivant près de la maison, que quelqu'un vivait là. Sans pouvoir l'expliquer. Elle avait savouré sa revanche face à l'incrédulité de Blois quand Caspienne les avait appelés. Blois, lui semblait-il, l'avait alors regardée d'un œil presque admiratif et elle en avait été confusément satisfaite. Elle, elle se serait immédiatement débarrassée de cette créature certainement dangereuse mais puisque Blois en avait décidé autrement, elle n'avait pas discuté. Elle ne discutait jamais. Blois savait forcément ce qu'il faisait.

         Le sifflement soudain, quelque part sur la droite, ne les surprit pas. Ils s'aplatirent dans les hautes herbes, Blois saisissant Camille par son étrange parka de fourrure et lui mettant immédiatement sa main sur la bouche. Lydia murmura : Jan ! et Blois acquiesça sans un mot. Ils attendirent une dizaine de minutes avant d'apercevoir la silhouette d'un homme qui approchait droit sur eux sans se presser. L'homme ne se doutait de rien et il poussa un hurlement de terreur quand il vit se dresser ces singuliers fantômes juste devant lui. C'était un homme âgé lourdement chargé d'un grand sac qu'il portait en bandoulière.

              - Stop ! cria Blois. Levez les mains. Vite.

         Pourtant l'homme, son premier moment de surprise passé, leur jeta son sac et prit ses jambes à son cou. Lydia leva sa dague mais Blois l'arrêta :

              - Laisse. Il ira pas loin.

         Camille, qu'il tenait toujours contre lui, sursauta au bruit sec de la détonation suivie d’un silence pesant. Ils s'approchèrent lentement du cadavre que Jan, à une centaine de mètres de là, retournait précautionneusement du pied. L'homme ne représenterait plus une menace pour personne. Blois jeta un regard circulaire sur les environs où rien ne bougeait. Il interrogea Jan du regard. Celle-ci haussa les épaules en un geste d’impuissance avant de murmurer :

              - Il s’enfuyait, alors… J’aurais pas dû gâcher une balle, dû m’servir d’mon couteau, j’sais bien, mais j’ai trébuché… il courait vite, c’te vieux… alors…

         Blois ne fit aucun commentaire mais il était persuadé que l’homme ne méritait pas une balle dont le nombre était compté, pas plus que la mort par une quelconque arme blanche. Comme prévu, Caspienne qui devait les observer de loin ne s'était pas montré. Une fouille rapide de l'homme les convainquit rapidement qu'il ne possédait rien d'intéressant sur lui.

           - Les renards, les dogues(1) et p'têt bien les loups s'occuperont de lui, murmura Lydia.

         Jan, sans un mot, rejoignit son chemin latéral tandis que les trois autres reprenaient leur route à travers champs. Blois sentait sa prisonnière trembler et il relâcha un peu sa prise en se croyant obligé d'ajouter à voix basse :

              - C'est triste mais on vous expliquera plus tard ce qu'on fait.

              - Camille le voit bien ce que vous faites, s'écria la jeune fille. Ses yeux gris agrandis par la terreur et l'incompréhension, elle ne pouvait s'empêcher de trembler.

         Lydia haussa les épaules et la poussa en avant.

              - Bien, jeta-t-elle, maintenant tu la fermes, compris ?

         Quand, en fin de journée, alors que le ciel qui avait roulé sa grisaille depuis le matin leur faisait l'honneur d'un dernier rayon de soleil, ils arrivèrent devant le Village, Camille ne vit tout d'abord pas grand chose d'autre que quelques ruines, comme il en existait un peu partout. Mais, en avançant, et à bien regarder, cette apparence était trompeuse. D'abord, il y avait les champs aux alentours qui, indéniablement, avaient repris une vague apparence de domestication humaine. Puis il y avait cette densité de l'air, ce souffle imperceptible qui trahissaient la présence d'une vie organisée. Poussant brutalement leur captive en avant, Blois et Lydia s'approchèrent d'une petite bâtisse aux trois quarts écroulée qui se dressait sur le bord droit du chemin relativement dégagé qu'ils suivaient depuis une dizaine de minutes. Blois s'arrêta face à une fenêtre aveugle et, d'une voix nette, claironna :

                 - Blois. Troisième groupe.

         Il fallut attendre une trentaine de secondes pour voir apparaître un vieil homme lourdement armé qui s'approcha lentement d'eux. Il inspecta Camille avec curiosité avant de déclarer :

              - C'est-y donc qu'vous avez ramené une prise, c'te fois-ci ?

         Mais le petit groupe dirigé par Blois avait repris son chemin. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, du bétail, des poules, des chiens, des enfants qui les entourèrent en criant, toute une civilisation prenait forme. Les rares adultes qu'ils croisèrent ne s'occupèrent pas d'eux. Ils s'avancèrent jusqu'à ce qui devait être le centre du Village, une petite place entourée de bâtiments en parfait état de conservation. Un homme, au sein d'un petit groupe de gens étonnamment silencieux, les y attendait. Il était grand, dans la force de l'âge, et s'affublait d'une imposante barbe noire. Ses yeux noirs et perçants inspectèrent les arrivants sans s'attarder sur Camille.

              - Salut, Lermontov, lança Blois. R.A.S sauf elle, poursuivit-il en désignant Camille du menton. Comme son interlocuteur ne répondait rien, il ajouta : peut-être quelque chose d'intéressant. On en discutera au Conseil.

         Le visage de Lermontov demeura impénétrable. Blois, attrapant Camille par une de ses manches, la conduisit vers un bâtiment adjacent où il la confia à deux femmes qui, sans un mot, l'introduisirent dans une petite pièce sans fenêtre qui sentait le renfermé. Une lourde porte de bois se referma sur elle. La jeune fille n'avait pas peur mais ces gens, ces maisons apparemment en bon état, toute cette vie organisée et si nouvelle pour elle, l'avaient impressionnée plus qu'elle ne l'aurait avoué. Cela ne l'empêchait pas de rechercher désespérément le moyen de s'échapper. A tâtons, elle explora chaque centimètre de sa prison, échafaudant toutes les combinaisons possibles pour fuir ses bourreaux. Elle était persuadée d'être mise à mort, torturée peut-être, dès que ses ravisseurs se rendraient compte du peu d'intérêt qu'elle représentait pour eux. Bien qu'il n'ait pas dit un mot ou fait une geste, elle sentait que le grand homme barbu qui devait être leur chef à tous ne la laisserait pas vivre. A moins qu'il ne décide qu'elle pourrait devenir une femme pour tous ses soldats ce qui, comme lui avait si souvent répété la mère alors qu'elle n'était encore qu'une enfant, serait bien pire. Mais cela n'arriverait pas car elle saurait se tuer avant. Après avoir un long moment tourné en rond, elle se laissa glisser sur le sol de pierre. Elle repensa à Serp qui ne devait rien comprendre à ce qu'elle faisait et cette pensée soudaine la fit pleurer, elle qui n'avait que rarement pleuré dans sa vie. Elle imagina les soldats poursuivant son fidèle compagnon, l'encerclant et le mettant à mort en riant. Cette idée insupportable la fit se dresser en hurlant de rage et de peur mais la porte resta parfaitement close et personne ne vint. Elle était bien plus seule qu'elle ne l'avait jamais été. On ne lui donna pas à manger et, à bout de désespoir, vaincue par la fatigue et la soif, elle se pelotonna dans un coin de la pièce obscure et s'endormit pour un sommeil peuplé de rêves étranges et effrayants.

     

    (1) chiens

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