• chapitre vingt-trois

     

       

     

       Tout d’abord, il ne se passa rien. Le cri, entendu quelques instants auparavant, ne s’était pas renouvelé et c’était à présent un silence pesant qui submergeait toutes choses, en union parfaite avec la neige qui n’en finissait pas de recouvrir l’environnement. Camille, déjà en partie engourdie, secoua la tête libérant de sa chapka une neige molle qui sembla voleter autour d’elle mais ce n’était qu’une impression puisque l’obscurité était presque totale. Malgré ses gants épais, elle serrait sa batte avec force et restait sereine : elle sentait physiquement la présence des autres, là, tout près d’elle, rassurante. Il lui sembla soudain que la porte de l’immeuble s’ouvrait lentement et le frémissement qu’elle crut percevoir chez ses camarades la conforta dans l’idée. Elle se ramassa sur elle-même, prête à bondir puis tout alla très vite. Dans le brouillard qui l’enveloppait, une forme imprécise se matérialisa à quelques pas et elle fit un petit saut en arrière, sa batte à hauteur de genou. Comment savoir cependant l’identité de l’inconnu ? Et si c’était l’un des leurs obligé de reculer ? Elle n’eut pas à s’interroger plus avant. La silhouette chercha à s’échapper et elle fut rattrapée immédiatement par une autre forme floue. Camille n’hésita plus et lança son arme dans la direction des jambes de la première ombre et elle eut la satisfaction d’entendre celle-ci pousser un cri de douleur tandis qu’elle s’affaissait. Bruits de piétinement. Halètements. Grognements. Sons étouffés dont on ne savait ce qu’ils recouvraient réellement puis le silence. L’affaire n’avait probablement pas duré plus d’une minute mais Camille avait eu la sensation de revivre un ancien cauchemar, un de ceux que l’on veut oublier à toute force mais qui vous poursuivent sans cesse car ils font partie de vous à jamais. Elle s’approcha des formes qui l’entouraient et identifia Blois et Crabe. Ce dernier murmurait à son chef :

              - Ils étaient deux à vouloir passer et on les a eus mais qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

             - Les autres ont dû sortir de l’autre côté. S’il y a des autres évidemment mais alors Veupa a dû les intercepter. Donc, voilà. Toi, Crabe, tu repasses par la rue et tu vas voir ce que fait Veupa et les autres. Moi, je rentre avec les femmes et on nettoie…

               - Mais le feu ?

             - S’il est trop fort, on f’ra demi-tour mais, moi, j’crois bien que ce feu, il fait plus de fumée que de flammes. Du coup, faut surtout se protéger avec des foulards. Allez, file, toi, adressa-t-il à Crabe avant d’ajouter, allez, davaï, on y va! à l’intention de ses soldates.

            - Mais les blésines qu’on vient de… qu’est-ce qu’on… ? interrogea Camille.

       Blois venait juste de rallumer sa torche et il entrait dans le hall de l’immeuble, déjà presque hors de vue. La jeune femme devina qu’il venait de hausser les épaules et c’est Garance qui lui répondit silencieusement en lui touchant légèrement le bras avant de suivre leur chef. Arrivé près de l’escalier, le petit groupe s’arrêta. La fumée était encore importante mais on devinait que le feu était en train de s’éteindre faute de combustible. En effet, hormis les quelques meubles et les vêtements entassés en regard de l’escalier, la pièce était vide d’objets. Blois l’avait déjà remarqué lors de sa première visite et il en comprenait parfaitement la raison : le mobilier disparate, les objets amoncelés, les réserves de bois, tout ce que les vivants entassent pour se protéger des aléas de leurs vies sont autant de pièges pour celui qui cherche à empêcher une tentative d’intrusion : Jacmo était de cette trempe d’individus qui ne laissent rien au hasard. Cette pensée conforta fortement Blois quant au bien-fondé de son opération de police.

              - Je pense qu’il est inutile de monter aux étage, chuchota-t-il aux deux femmes. En tout cas pour le moment. On va explorer ce niveau et rejoindre le groupe de Veupa. S’ils n’ont rien vu, on fait demi-tour et on grimpe, comprendo ?

       N’obtenant pas de réponse, il remit son foulard sur sa bouche et se tourna vers le couloir qui s’ouvrait à gauche de l’escalier. Suivi des deux femmes il s’avança lentement dans la nuit, tenant sa torche à bout de bras afin de réduire du mieux qu’il le pouvait le risque de servir de cible. Deux pièces seulement - mais elles étaient pratiquement vides - s’ouvraient sur la droite du grand couloir qui débouchait sur une immense pièce elle aussi semble-t-il vidée du mobilier qui, jadis, avait dû la meubler. Ajouté au froid omniprésent, aux lumières des torches dansant sur les murs restés clairs et surtout au silence, l’endroit procurait aux trois villageois une impression d’abandon et de solitude. La porte du fond était entrouverte et Blois supposa que c’était par là que leurs ennemis s’étaient échappés ce qui avait dû les conduire directement sur Veupa et ses trois camarades. Agitant sa torche de bas en haut et toujours à bout de bras, il s’avança dans l’arrière-cour puis, quelques mètres plus loin, par une espèce de porte dérobée, dans la rue dite « aux ours » mais personne ne se manifesta. La neige tombait moins dru et on recommençait à distinguer vaguement les formes des murs et des objets. Blois fit signe aux deux jeunes femmes restées en arrière au moment où une silhouette s’avançait vers eux. Près à se jeter de côté, Blois reconnut avec soulagement Crabe qui s’approcha rapidement de lui.

              - Chef, murmura Crabe d’une voix étouffée, y-z-ont tué Phil quand ils sont sortis… Veupa y dit qu’on n'y voyait rien et que…

              - Et où il est Veupa ?

            - Partis à la poursuite des clamèches… trois clamèches qu’y sont… trois… pendant que les traces sont encore fraîches et comme y neige moins… mais, aussi faut que j’vous dise… Phil, l’a été descendu par une flèche de c’te machine, là, l’arc droit du chef des crapules, quoi et…

             - T’en es sûr, s’exclama Blois. Comment tu sais que c’est une flèche d’arbalète ? Tu l’as vue ? Tu l’as ramassée ?

             - Pas moi. Veupa.  La flèche, elle est rentrée dans son cou, à Phil, juste sous le menton et Veupa, y dit que…

              - On y va, cria presque Blois en direction de ses soldates. Je sais pas comment c’te blésine a pu tirer comme ça, vu qu’on voyait rien mais c’est pas grave, on va s’le faire, c’est moi qui vous le dis. Allez, davaï, davaï !

       Blois fit signe à Crabe de lui montrer le chemin et, sans même regarder s’il était suivi, il s’élança dans la nuit. Pour ne pas le perdre, Camille s’élança à son tour sans avoir pu allumer sa propre torche mais, en y réfléchissant, elle se dit que cela valait peut-être mieux : d’ailleurs, Garance paraissait avoir adopté la même attitude. Les deux jeunes femmes calquaient leur avancée sur la torche de Blois dont elles distinguaient le faible halo, non sans vérifier avec attention l’endroit où elles mettaient les pieds tant il y avait d’objets divers éparpillés, dont certains, elles en étaient persuadées, capables de les blesser sérieusement. La neige s’arrêta d’un coup comme si quelque chef d’orchestre invisible en avait subitement donné l’ordre : on en était revenu à la nuit noire seulement éclairée par la faible lumière de Blois. Celui-ci s’arrêta bientôt à l’entrée d’une ruelle et occulta prestement sa torche. Camille avait bien mémorisé l’endroit où il se tenait et le rejoignit rapidement. Veupa était sorti de l’ombre et approché d’eux.

              - Ils sont là pour ce que j’en sais. Les traces sont toutes fraîches et y a personne d’autre dehors…

              - C’est quoi, cet endroit ? murmura Garance.

       Sans répondre, Blois se dirigea de l’autre côté de la rue, vers l’entrée de l’immeuble où s’étaient réfugiés les deux soldats de Lermontov. Lorsqu’il s’approcha, l’un d’entre eux, la voix mouillée, chuchota : Chef, chef… Phil, il est… il est… Blois lui serra le bras sans rien dire et se tourna vers Veupa, Crabe et les deux femmes qui le suivaient. Repliés dans l’entrée du bâtiment, les sept villageois étaient un peu à l’écart de la rue, relativement protégés par les murs de l’immeuble, tout en ayant une vue dégagée sur la bâtisse dans laquelle s’étaient réfugiés leurs ennemis. Toutes sources de lumière à présent éteintes, les yeux de chacun avaient pu s’habituer et découvrir que la nuit n’était finalement pas aussi épaisse qu’anticipée : quelques lueurs intermittentes de ci, de là et une vague luminosité permettaient de reconstruire les grandes lignes des alentours. À présent que la neige avait cessé, on pouvait également mieux observer l’immeuble choisi par les trois fugitifs et ce qu’on pouvait en deviner n’était guère engageant. Le bâtiment s’élevait sur trois étages, à la même hauteur que toutes les maisons de cette rue mais ce qui était étrange, c’était son ouverture au rez-de-chaussée. À la place des habituelles entrées d’immeuble semblables à celle où ils s‘étaient réfugiés, se dressait une ouverture béante dont, à la lune renaissante, on devinait qu’elle n’était pas la conséquence d’une quelconque destruction : elle avait dès le début été bâtie ainsi dans un but qui plongeait les villageois dans une totale perplexité. Blois claqua ses doigts :

              - Bon, on va réfléchir. On va chercher ce que c’est encore que c’te bâtisse et j’ai peut-être une idée. Vous deux, jeta-t-il à Djeize et Carbure, vous restez ici pour surveiller. Nous, on va dans le couloir pour faire un peu de lumière sans attirer l’attention. Vous autres, suivez-moi, jeta-t-il à mi-voix.

       Le petit groupe s’avança dans le couloir, enjambant de multiples objets indéterminés. Avisant un endroit plus dégagé sur le pas d’un appartement à moitié ouvert sur le passage - en fait, une loge de concierge mais aucun d’entre eux n’avait les moyens de le deviner - Blois posa sa bougie sur une marche et sortit sa carte de la ville qu’il examina avec attention sous l’œil curieux de ses soldats.

              - Eh bien, voilà, murmura-t-il comme pour lui-même après plusieurs minutes d’examen du papier froissé, difficile à décrypter dans la pénombre.

       Il leva les yeux vers ses soldats.

               - C’est une ancienne caserne de pompiers, déclara-t-il soudain. Des pompiers, vous savez sûrement, des soldats qui s’occupaient du feu, qui éteignaient les incendies, quoi, non, ça vous dit rien ? Bon, c’est pas grave, laissez tomber. Ce qui compte, c’est que cette ouverture bizarre, elle donne sur des grandes salles où y avait des voitures à incendie… Pour éteindre les feux, comme je viens de vous dire. P’têt même qu’y en a encore de ces grosses voitures là-bas… Pas question de risquer sa peau, ça non  ! Surtout la nuit  ! Je vais regarder où sont les différentes sorties de ce… truc et on va attendre. Faudra bien qu’elles sortent, nos blésines, s’pa ?

       Engoncée dans sa chaude parka et appuyée contre le mur du couloir, Camille arriva difficilement à trouver le sommeil d’autant que la partie de couloir qu’elle avait réussi à dégager était carrelée et tout à fait glacée. Sans se réveiller vraiment, elle arrivait à faire alternativement porter son poids d’une jambe sur l’autre ce qui l’empêchait de s’engourdir réellement. Tout à coup, alors que les premières lueurs de l’aube venaient de percer, elle sentit comme un début d’agitation, une espèce de frémissement immédiatement suivi d’un cri étouffé qui l’éveilla complètement. Elle se pencha en avant, prête à se lever, lorsqu’elle entendit la voix de Blois qui chuchotait :

              - Non, pas de panique, c’est son dogue…

       Et moins de cinq secondes plus tard, Serp venait se ranger auprès de sa maîtresse qu’il lécha abondamment tandis que, elle, de son côté, essayait de lui réchauffer les pattes qu’il avait très froides. Camille ne se faisait pas particulièrement de souci pour son grand chien dont elle savait que, livré à lui-même au sein des ruines de la ville, il représentait certainement plus un prédateur qu’une proie. En fait, c’était quand il était avec elle qu’il était le plus en danger d’où sa réticence à lui faire suivre les mêmes chemins que le groupe de chasse. Elle le caressa et, se penchant, lui murmura les mots et émit avec sa langue les petits bruits qu’il aimait tout spécialement. Elle leva les yeux vers Garance qui venait de se planter devant elle. Celle-ci tenait son sac à dos à la main.

              - Le chef veut qu’on se réunisse pour nous expliquer ce qu’on va faire… comment faut s’y prendre pour cueillir les blésines, tout ça… mais, avant, on a un p’tit moment pour manger un bout : j’ai amené mon barda, ajouta-t-elle en s’asseyant à côté de Camille.

        Elle alla même jusqu’à caresser furtivement Serp qui, roulé en boule, semblait s’être endormi mais elle n’insista pas, le gros chien lui faisant encore assez peur.

     

     

              - Voilà. Cette nuit, j’ai un peu regardé la carte à Lermontov, commença Blois, et j’ai appris des choses intéressantes…. D’abord, point important, si j’en crois cette carte, la caserne, heu, la grande maison, ne communique pas avec une autre rue derrière… Seulement avec l’immeuble d’à-côté, celui qu’on voit, là, le gris et marron, poursuivit Blois, ponctuant sa phrase de son index droit levé. Parce que c’était là que dormaient les pompiers… mais toujours pas de sortie derrière. C’qui fait qu’il y a la grande porte qui, avant, était probablement fermée par une sorte de rideau de fer, la petite à côté et celle de l’autre bâtisse, tout ça très facile à surveiller d’ici  !

       Les villageois étaient allongés à même le sol, à l’entrée de leur immeuble, dissimulés de la rue par de vieux meubles cassés, des morceaux de tôle, quelques monticules de pierres ayant appartenus jadis au trottoir et même deux carcasses de voitures. La lumière du jour augmentant rapidement, Camille se rendit compte que leur position était excellente, en tout cas pour une surveillance discrète : on pouvait voir entre et sous les véhicules l’essentiel des bâtiments à surveiller et notamment les ouvertures si chères à Blois. En revanche, ils étaient eux-mêmes peu visibles. Même leurs traces de pas dans la neige n’étaient guère repérables, camouflées en grande partie par les carcasses et les débris : il fallait vraiment s’approcher pour les distinguer.

              - Non, j’ai pas trop envie qu’on se risque dans ce garage qui est rien qu’une espèce de hangar où on nous verra venir de loin, repris Blois. Non, c’qu’on va faire, c’est attendre parce que je suis certain que les blésines sont venues ici sans rien prévoir ; y sont venus ici parce qu’on a mis le feu à leur planque et qu’y nous ont trouvés à la sortie. Mais ils vont avoir faim, envie de bouger, ça c’est sûr alors, nous, on attend… disons jusqu’à cette nuit et là on décidera s’il faut qu’on y aille mais je préférerais pas ! Autre chose : pas nécessaire qu’on soit tous à surveiller… on s’fait un tour de garde, disons toutes les deux heures. Allez, je commence avec toi, Veupa.

       Camille qui avait besoin de s’occuper l’esprit proposa à Garance d’explorer le petit immeuble. Au deuxième étage, les deux jeunes femmes découvrirent un appartement relativement bien préservé des pillages et des ravages du temps. Une table, des chaises, une sorte de divan certes un peu défoncé sur lequel, si l’on acceptait de supporter les odeurs de moisi assez intenses, on pouvait s’étendre. Dans un coin, comme à chaque fois, trônait l’étrange rectangle de verre sombre et plat qui, d’après les explications de Blois, affichait dans les temps anciens des images des gens, des images qui bougeaient  ! La surface en était noire et sale et, même après l’avoir frottée, on avait du mal à y distinguer son propre reflet ; elle se demandait chaque fois comment un tel artifice avait pu exister, s’il avait seulement réellement existé. Voir des images des gens ? Les voir s’animer ? Elle n’arrivait décidément pas à se l’imaginer. Le reste de la pièce était à l’avenant : banal. Le plus intéressant étaient les deux fenêtres encore intactes qui, entrouvertes, permettaient d’avoir une vue parfaite sur la rue. Blois, appelé pour une inspection, s’enquit immédiatement d’un éventuel changement dans l’agencement des fenêtres susceptible d’avoir été repéré par leurs ennemis mais se rasséréna quand on lui déclara qu’on n’avait touché à rien. Il observa à travers les vitres sales, se gardant bien de les frotter.

              - Interdiction absolue de faire de la lumière ici, hein ? Surtout ce soir si on est encore là. Vous voyez, la crasse de ces carreaux empêche de voir à l’intérieur. Je veux dire qu’une clamèche en face peut pas nous voir… sauf si on fait de la lumière. On voit pas trop bien à travers, c’est vrai, mais on peut quand même observer une bonne partie de la rue des deux côtés. Et ça, en bas, on peut pas… Il ne savait toutefois pas si le détail était important. Il hésita avant de reprendre : du coup, faudrait peut-être quelqu’un ici.

              - On restera là, proposa Garance. On pourra se reposer tout en surveillant, vous croyez pas ?

       Blois hocha la tête sans répondre et sortit de l’appartement. Deux étages plus bas, Veupa et Carbure, allongés à même le sol de l’entrée de l’immeuble, se tournèrent d’un seul bloc vers leur chef qui s’approchait.

              - Rien de nouveau, chef, chuchota Veupa. En face, ça bouge pas.

                - Les autres ? demanda Blois.

                - Près de la cour derrière. Là-bas, on est plus tranquille et on a moins de chance de…

                - Je sais.

                - Les filles sont plus haut dans la maison et…

                - Je sais, répéta Blois.

     

     

       Une grande partie de la matinée s’écoula sans que rien ne se passe. À plusieurs reprises, Veupa avait demandé à Blois s’il était bien certain que la caserne ne communiquait pas avec les maisons voisines. La troisième fois, Blois qui n’était en définitive plus sûr de rien, avait failli s’emporter mais s’il répondait à voix basse en raison de la proximité supposée de leurs ennemis, on sentait, à sa diction sifflante et monocorde, toute l’étendue de sa frustration et même de sa rage. Il était exact qu’il n’était sûr de rien : pour ce qu’il en savait les clamèches avaient peut-être pris la poudre d’escampette depuis belle lurette et il était là avec son équipe à attendre inutilement. Qu’aurait fait Lermontov à sa place ? Aurait-il cherché à investir la place adverse au risque d’exposer ses hommes ? Aurait-il envoyé un éclaireur ? Ou bien se serait-il contenté de lever le camp en se disant que, tôt ou tard, il aurait bien l’occasion de régler ses comptes avec l’arbalétrier ? Qui, d’ailleurs, puisque plus rien ne semblait le retenir dans cette ville, avait peut-être déjà entrepris un repli discret vers des terres plus hospitalières… D’insister ainsi, était-ce de l’entêtement de sa part où y avait-il quand même dans son attitude un semblant de logique ? se demandait Blois, plutôt chagrin. La réponse à ses doutes se manifesta moins d’une heure plus tard sous la forme d’un mouvement près de la grande ouverture : quelqu’un était venu s’assurer que la rue était bien déserte mais ce quelqu’un s’était imprudemment trop avancé jusqu’à s’exposer un bref instant à la lumière du jour. Carbure qui était de garde dépêcha immédiatement Djaize pour prévenir Blois et, quelques minutes plus tard, tous étaient allongés à observer le repaire de leurs ennemis. Camille, prévenue par le début d’agitation contenue du petit groupe avait abandonné Garance quelques instants pour se renseigner.

              - Non, on n’a rien vu de là-haut, chuchota-t-elle à la question muette de son chef. Je retourne, conclut-elle mais Blois ne l’écoutait déjà plus.

                - Là, désigna Blois, d’un mouvement du menton.

       Effectivement, deux silhouettes venaient d’apparaître à l’entrée de la caserne et, déjà, courbant le dos, se précipitaient sur le trottoir pour remonter la rue sur leur gauche. Blois observa un bref instant : aucune arbalète en évidence chez les deux hommes…

              - Crabe, Carbure, Djaize, à vous de jouer. Plus la peine de se cacher. Coincez-les et tuez-les, ordonna-t-il.

       Blois se proposait d’attendre la sortie de Jacmo qui, à l’évidence, ne faisait pas partie du duo tentant sa chance dans la rue. Les trois soldats désignés se levèrent d’un seul mouvement et se lancèrent à la poursuite des deux silhouettes. Inutile de se cacher. Blois comptait d’ailleurs un peu sur ce mouvement pour déstabiliser l’arbalétrier. Pourtant, rien ne bougea et Blois s’interrogeait sur ce qu’il conviendrait de faire si la situation en restait là. Un bruit de pas précipité lui fit tourner la tête. Camille.

              - Blois, il se tire par les toits… On l’a vu d’en haut  ! On l’a reconnu à cause de son arc  !

       Blois ne se fit pas répéter les mots.

              - Où ? Lesquels de toits ?

       La jeune femme désigna le toit de l’immeuble jouxtant la caserne mais situé du côté opposé à celui emprunté par les deux précédents fuyards.

       Blois se tourna vers Veupa

              - Tu entres dans l’immeuble et tu essaies de voir par où il est sorti sur le toit. Faut que tu passes aussi par les toits pour lui couper le retraite. Comprendo ?

        Puis, se tournant vers Camille :

             - Tu vas chercher Garance et tu me rejoins tout de suite. Il faut l’intercepter lorsqu’il va redescendre. Ça va pas être facile de le repérer mais c’est notre seule chance.

       Camille n’eut pas à grimper dans les étages : Garance qui avait dû écouter se matérialisa instantanément à ses côtés. Elle avait sorti son sabre. Les deux femmes se lancèrent sur les pas de leur chef. Serp les suivit de son trottinement tranquille.

     

     

       D’un geste de la main, Blois ordonna à ses soldates de s’arrêter derrière la carcasse d’une voiture. Il avait observé Veupa s’engouffrant dans l’immeuble des pompiers : il avait toute confiance en lui et il savait qu’il trouverait le passage vers les toits emprunté par leur ennemi. Il se tourna vers les deux femmes.

              - Voilà. Grâce à la carte, je connais ce pâté de maisons par cœur. De ces maisons, il y en a huit en tout. Trois avant la caserne, puis la caserne et donc encore quatre. Elles doivent communiquer par les toits, c’est vrai, mais des toits, à un moment ou à un autre, faut en descendre. La carte à Lermontov indique que le maison du bout s’appuie bien sur une de la rue voisine mais cette maison-là, eh bien, c’est une grande bâtisse, un immeuble et j’parie qu’y a pas d’ouverture entre les maisons à cet endroit. Ce qui veut dire que…

              - … que la blésine doit redescendre là-bas, compléta Garance, et donc qu’on devrait la cueillir là.

               - Bien vu, lui répondit Blois. Du coup, voilà : Veupa est monté dans la caserne, on va laisser filer la maison quatre - on peut pas faire autrement - mais Garance va prendre la trois, Camille la deux et moi la première. Notre clamèche devra soit rencontrer l’un de nous en redescendant, soit se retrouver coincé sur les toits. On monte donc chacun mais prudence, on a affaire à un tueur sans aucune pitié. Du coup, faut pas réfléchir et frapper si on peut. Faut le descendre ! On va avancer sur les toits et on se retrouve tous ensemble pour encercler la blésine. Est-ce que vous avez bien compris ? Bon, on y va mais, pas d’acte de bravoure, hein ? Celui qui arrive à le coincer, il attend les autres… Et méfiez-vous des traits, des flèches quoi. Ah, Camille, tu renvoies ton dogue : il nous servira à rien.

     

     

       La deuxième maison, celle qui lui avait été dévolue, était en réalité un petit immeuble assez semblable à celui dans lequel les villageois venaient de passer leur deuxième partie de nuit. Trois étages mais seulement deux appartements à chaque niveau. Camille dédaigna le rez-de-chaussée : si Jacmo s’était trouvé là, elle était certaine qu’il serait sorti dans la rue plutôt que de cacher dans cet endroit insalubre où le moindre mouvement entraînait la chute ou le raclement d’une multitude de débris ce qui n’était pas la meilleure manière pour se dissimuler à la face du monde. Très méfiante, elle s’obligea à visiter les appartements des étages sans rencontrer autre chose que l’habituel état d’abandon de ces endroits oubliés de tous. On y voyait plutôt bien en raison de larges fenêtres assez nombreuses. La jeune femme se fit la remarque que cet endroit avait dû être agréable jadis.  À présent, l’ensemble était plus ou moins moisi et surtout recouvert d’une couche de poussière qui attestait qu’aucun être vivant - à l’exception vraisemblable d’un chat et de quelques rats dont on voyait les empreintes ici ou là - n’avait depuis longtemps fréquenté ces lieux. Arrivé au troisième étage, elle comprit que son exploration devenait plus compliquée. En effet, aucun escalier ou échelle ne semblait conduire au toit ; on voyait bien une trappe dans le plafond du couloir mais, outre qu’elle se situait à presque deux hauteurs d’homme, elle semblait bien close et peut-être même murée. Une seule consolation : Jacmo n’était certainement pas redescendu par là. Que faire ? Rebrousser chemin ? Secouant la tête, elle s’engagea dans l’appartement immédiatement proche d’elle et dont la porte entrouverte semblait une espèce d’invitation. Elle poussa un petit cri de soulagement. Des planches en bois de différentes longueurs étaient éparpillées à même le sol et il y avait également une caisse qui pourrait lui servir de support d’escalade. Elle s’empara d’une des planches et retourna dans le couloir. Elle projeta son outil improvisé et eut la satisfaction de constater que son travail serait plus aisé que prévu : le panneau de bois qui fermait la trappe était assez mince et il se fractura rapidement. Camille n’eut que le temps de se jeter de côté pour éviter l’avalanche de poussière et de débris, et peut-être même d’autres objets qu’elle préféra ne pas détailler. Elle ralluma sa torche pour sommairement explorer un puits au sommet duquel elle apercevait la lumière du jour. Elle sut immédiatement que son ascension serait facile : plaquée contre la paroi de droite du puits, elle pouvait deviner la forme d’un échelle rétractable. Elle alla chercher la caisse, sauta plusieurs fois pour attraper la base de l’échelle qui se déplia d’un coup dans un couinement abominable. Elle sauta de la caisse, reprit son sac et ses armes et entreprit son ascension. Le sommet du puits était obturé par une sorte de lucarne en plastique dur recouverte de neige ; elle la fit sauter avec sa batte et posa ses mains gantées sur le rebord du puits pour se hisser sur le toit lorsqu’elle entendit les cris.

     

     

       Camille réussit à s’extraire du boyau et se tourna vers la droite, l’endroit d’où provenaient les cris. Le portion de toit sur laquelle elle venait de se hisser donnait sur la rue et était composé d’ardoise. Le toit présentait ses deux parties en pente douce. Un chemin d’environ trois pieds de large courait tout le long de son sommet et permettait jadis aux équipes d’entretien d’accéder rapidement à l’ensemble des lieux. Blois et Jacmo devaient se trouver quelque part sur la gauche mais c’était pourtant de sa droite que semblaient arriver les appels. Elle grimpa sur le chemin en haut du toit et comprit immédiatement. Positionnés à l’extrême bord du toit de la maison voisine, elle pouvait apercevoir les silhouettes de Veupa et de Garance, incapables de franchir l’espace séparant les deux bâtiments, un vide assez important donnant sur une cour intérieure en contrebas les en empêchant.

           - On peut pas passer, s’exclama Veupa dès qu’elle s’approcha d’eux. Et…

               - Mais alors, Jacmo ? s’écria Camille.

             - Mais il est passé, lui. C’est lui qui a cassé le passage entre les toits, une sorte de petite passerelle. Je le sais, j’l’ai vu faire quand j’suis arrivé. On allait redescendre, Gar et moi mais on t’a entendu venir. T’es la plus proche de la blésine et de Blois. Va l’aider mais fais gaffe à toi. Nous, on s’dépêche de r’grimper par la dernière baraque.

       Veupa avait à peine fini de prononcer ses dernières paroles qu’il avait déjà disparu, suivant Garance qui s’était éclipsée quelques secondes plus tôt. Camille rebroussa chemin. Elle n’en menait pas large, certaine qu’elle était de faire une cible parfaite pour un arbalétrier. Sa seule consolation était de penser que si Jacmo lui tirait dessus, il se démasquerait peut-être et ferait alors les affaires de Blois qui saurait en profiter. Maigre consolation, tout de même car… Elle poussa un cri étouffé : sa botte droite venait de glisser sur une plaque de neige fondue et elle n’avait dû qu’à son entrainement de jadis de ne pas tomber. Elle assura sa batte et son poignard puis avança rapidement vers le toit de la maison voisine. C’était en réalité une surface plane couverte de gravier encore enfouie sous une neige abondante. Elle était entourée d’un petit parapet et son centre était occupé par un assemblage de murets et de cheminées qui devait bien occuper une bonne moitié de ce toit plutôt inhabituel pour la ville. Comme l’avait pensé Blois, le toit se finissait sur le mur aveugle de l’immeuble voisin qui surplombait les maisons de la rue de plusieurs étages et pour ce qu’elle pouvait apercevoir depuis sa position, il n’y avait à cet endroit aucun signe de communication. S’il n’avait pas été intercepté dans l’escalier de l’immeuble, Jacmo se cachait certainement de l’autre côté des cheminées et elle devait, en conséquence, être formidablement prudente. Mais où était passé Blois qu’elle ne voyait nulle part ?

       Elle réajusta sa parka, rentra quelques mèches de cheveux blonds dans la capuche qu’elle rabattit sur son front, assura une fois encore ses armes puis, à demi-courbée, s’avança vers l’autre partie du toit, au-delà des cheminées. Elle vit d’emblée la silhouette de Jacmo qui, à quelques mètres d’elle, lui tournait le dos et repoussait du pied une forme allongée qui… Blois  ! Le sang de Camille se figea tandis que son cœur se mettait à battre la chamade et qu’un long frisson la parcourait toute entière. Elle s’avança. Le visage de Blois paraissait couvert de sang et il ne bougeait pas. Se pourrait-il que… ? Les bottes de la jeune femme avaient-elles crissé sur la neige ou, par une sorte de prescience, Jacmo avait-il deviné sa venue, quoi qu’il en soit, il se tourna vers elle, un curieux sourire aux lèvres. Il leva son arbalète dont on devinait la tension de la corde, le trait prêt à être éjecté. À cette distance, elle n’avait aucune chance d’échapper à une mort immédiate.

              - Allez, avance, petite, au moins, toi, tu vas pouvoir me renseigner, s’pas ?

       La voix du petit homme, volontairement étouffée, paraissait emplie d’une haine et d’une rage contenues. Il baissa pourtant son arme.

              - Je sais qui tu es, t’sais. C’est à toi qu’appartient le loup, enfin ce grand dogue qui nous a pisté tout ce temps. Cent fois, j’aurais pu te le tuer, ton dogue, mais je tue pas les animaux, moi. Ceux qu’je tue, c’est ceux qui se conduisent pire qu’des animaux, déclara-t-il en donnant un nouveau et méchant coup de pied à Blois toujours immobile. Des comme c’te saloperie, là, qui tue les femmes qui lui demandent rien. Hein, pasque c’est bien lui qui l’a tuée, ma pauvre Lady, non ? Allez, tu peux bien m’le dire, maintenant pasque ça a plus beaucoup d’intérêt tout ça… Non ? T’es bien sûre ? Alors je pense qu’on devrait… Mais je cause, je cause et le temps passe. Allez, approche, ma p’tite. J’te jure que j’te f’rai pas de mal : c’est pas après toi que j’en ai…

       Mais Camille comme pétrifiée ne bougeait pas

              - Bon, j’vais te dire. J’ai pas tout mon temps, j’suis pressé, tu piges ? Je veux savoir combien vous êtes après moi. L’autre, là, il a pas voulu m’le dire et maintenant, tu peux voir c’qui lui est arrivé. Alors toi, tu vas me renseigner et vite parce que… Et d’abord, tu jettes tes couteaux et tu me rejoins. Allez, exécution  !

        Jacmo releva à nouveau son arbalète en direction de Camille.

       Comme dans une sorte de cauchemar dont elle ne savait comment sortir, Camille jeta sa batte et son poignard derrière elle puis se vit avancer en hésitant et en traînant les pieds vers celui qui, elle en était totalement persuadée, allait la tuer comme il avait tué Blois. C’est comme ça qu’elle heurta un objet à demi enfoui dans la neige. Elle se baissa. Le revolver de Blois. Elle le ramassa et, ôtant son gant sans même s’en rendre compte, machinalement le soupesa.

              - Te fatigue pas, ma toute belle. Ton patron a déjà essayé : elle marche pas sa pétoire  ! déclara Jacmo d’un ton amusé. Un amateur, ton patron. Il voulait équilibrer les forces, faut croire. T’imagines ça ? Ce vieux truc contre mon arbalète ? Il faisait pas le poids… Bon, allez, tu me jettes ça et tu te décides à venir, merde à la fin.

       Camille se remit lentement en marche, le revolver toujours à sa main droite. Blois lui avait appris à manier cette arme, à compenser son recul, à viser au jugé : il avait même consacré deux balles, deux vraies balles, prélevées sur ses maigres réserves pour lui expliquer le fonctionnement de cette arme si spéciale puisqu’elle annulait les distances entre les gens. Comme un arc mais en plus rapide et moins encombrant. D’ailleurs Blois… À travers ses yeux embués par des larmes de rage et de tristesse infinie, elle voyait le petit homme qui la regardait s’approcher. Il la toisait, immobile à quelques longueurs d’elle, son arbalète sur l’épaule gauche prête à être dégainée, sa main droite sur sa hanche, un rictus satisfait aux lèvres.

              - Allez, gamine, grouille-toi. Y a tes potes qui arrivent et j’veux être prêt à les recevoir. À propos, t’as dit qu’y sont combien déjà ? Ah oui, c’est vrai, t’as encore rien dit  ! T’sais qu’tu commences à m’chauffer les oreilles ?

     

       Camille le comprenait bien à présent. Blois était mort. Celui qu’elle admirait tant, qui avait fait d’elle ce qu’elle était, celui qui lui donnait l’impression d’exister vraiment. Il était mort. À cause de cette clamèche qui s’amusait de son désarroi. Sans réfléchir, elle leva son pistolet vers Jacmo qui ne bougea pas d’un poil. Son sourire s’élargit.

              - J’t’ai déjà dit, pov cloche, qu’y marche pas son machin, tout rouillé qu’il est  ! Et pis en plus, il a pris la neige. Tout mouillé que je…

       Dans le silence du matin clair, le cliquetis du chien frappant une cartouche hors d’usage résonna bizarrement, comme une menace lointaine et inopérante.

            - Mais c'est qu't’es vraiment têtue, toi ,tu sais ! hurla Jacmo que la rage recommençait à submerger. T’écoutes jamais rien, faut croire. Ben, ça va pas te porter chance, t’sais, pasque tu…

       Le bruit assourdissant de la détonation fit s’envoler une bande d’oiseaux du toit voisin. La balle était passée à quelques centimètres de la jambe droite de Jacmo. Camille vit la bouche du petit homme s’ouvrir en forme de cercle et ses yeux s’écarquiller de surprise. Il venait de comprendre qu’il avait peut-être commis une faute d’inattention, un excès de confiance auquel il fallait remédier au plus vite. Il fit glisser son arbalète sur son bras gauche et s’apprêtait à relever son arme pour viser lorsque la deuxième détonation, presque étouffée celle-là, retentit dans le silence à peine revenu. Stupéfaite, Camille vit la tête du petit homme littéralement exploser dans un geyser rouge, la balle lui emportant le haut du crâne à droite. Incrédule, paralysée, elle vit son ennemi lâcher son arme et s’affaisser lentement pour s’écrouler à quelques pieds du corps de Blois. Elle était abasourdie. Comment ? Comment était-ce possible ? Elle avait seulement visé devant elle. Au jugé. Parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Parce que de toute façon, la mort allait venir pour elle aussi. Et voilà que… Et la troisième cartouche, elle aussi, elle avait… Blois  ! Comme plongée dans la brume déréalisante d’un rêve éveillé, sans réfléchir plus avant, elle se précipita vers le corps sans vie de son chef. Désespérée, elle se jeta sur lui et essaya de le secouer doucement mais, le visage couvert d’un sang rouge qui tranchait vivement avec la blancheur du sol, Blois ne réagissait pas. Sa tête ballottait à droite et à gauche comme celle d’un pantin de chiffon et il ne respirait plus. Aveuglée par les larmes, Camille ne savait rien faire d’autre que serrer le corps inanimé contre elle, comme si de le réchauffer même maladroitement permettrait de le faire revenir à la vie. Sans s’en rendre compte, comme anesthésiée, à genou dans la neige molle, elle se balançait d’avant en arrière, une plainte sourde émanant de tout son être. Une ombre soudain se matérialisa à ses côtés qu’elle n’arriva tout d’abord pas à distinguer en raison de ses yeux embués puis elle reconnut Garance.

              - Il est mort…

              - C’est toi qui a descendu la blésine ? interrogea Garance sans lui répondre directement.

              - Oui, oui, j’lui ai tiré dessus avec l’arme de Blois mais lui, lui… il était déjà…déjà…comme ça, arriva-t-elle à balbutier en désignant son chef.

       Garance s’était immédiatement penchée sur Blois mais, elle aussi, ne semblait guère en mesure de faire quoi que ce soit. Elle leva un visage décomposé vers Veupa qui s’approchait à son tour de son pas lourd. Il écarta fermement Garance et entreprit d’ouvrir la parka de son chef, d’écouter son cœur, de palper sa carotide à la recherche d’un pouls. Il se redressa d’un coup. Il poussa un long soupir, comme s’il était délivré d’un poids terrible et qu’il commençait à revivre. Il regarda les deux femmes qui l’interrogeaient du regard.

               - Eh bien, il a pris un bon coup sur la tête, déclara-t-il observant tout autour de lui, son regard s’attardant brièvement sur le cadavre de Jacmo. L’est dans les pommes, voilà tout. C’est p’têt sérieux, j’peux pas dire, mais l’est pas mort. Allez, on va le transporter à l’intérieur de l’immeuble et on lui nettoiera la figure avec ce qu’on trouvera.

             - Tu t’es affolée pour rien, ma grande, s’exclama Garance en tapotant l’épaule gauche de Camille.

       Cette dernière avait du mal à mettre de l’ordre dans ses pensées tant les événements s’étaient pour elle soudain précipités et tant elle était passée par des sentiments contraires en si peu de temps. Ce que, à ce moment précis, elle retint, c’était que Blois était vivant. Vivant  ! Elle sentit la vie revenir en elle et son cœur se remit à battre comme s’il s’était arrêté lorsqu’elle avait aperçu dans la neige le corps étendu ; son souffle précipité s’apaisa à son tour. Une espèce de calme étrange l’envahit bientôt, sans qu’elle ait la moindre envie d’aller au-delà. Toujours à genou dans la neige, le regard fixé sur Veupa et Garance qui tentaient de relever Blois encore inconscient, Camille ne savait plus quoi faire.

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